5 – La technique d’aikidô comme objet signifiant

En cherchant de quelle manière les savoirs enseignés et le système didactique de l’aikidô du K.A.K.K.H.H. pouvaient répondre à une demande de développement personnel qui motiverait ses pratiquants, nous avons tout particulièrement ciblé le passage de grade comme pouvant probablement éclairer judicieusement cette question. Nous avons retenu et exploré tour à tour plusieurs dimensions pouvant s’avérer opérantes dans les processus à l’œuvre : les dimensions rituelle, cognito-affective et motivationnelle. Une autre dimension, et non des moindres, a également été abordée, la dimension langagière qui accorde à la pratique de l’aikidô les attributs d’un langage. Nous avons dit aussi que nous ne pouvions, suivant en cela les principes méthodologiques hérités de Vygotski, nous résoudre à dissocier la gestuelle de l’aikidô en termes de descriptions anatomiques, stratégiques et symboliques successives qui délimiteraient des espaces artificiels où interviendraient isolément ce qui est de l’ordre de la physiogenèse et celui de la psychogenèse. Nous avions décidé par conséquent d’avoir recours à ce que Vygotski appelait l’analyse par décomposition en « unités de base ». Dans la partie précédente, nous avons utilisé une nouvelle technique d’extraction de données au travers de laquelle nous nous sommes efforcé de nous rapprocher du vécu authentique des acteurs d’un examen de passage de grade. Après cela, il est temps pour nous d’utiliser l’ensemble des éléments de compréhension que nous avons pu réunir pour reconstituer par construction ce que pourraient bien être dans le contexte de notre recherche les unités de base qui s’y rapportent. Rappelons que, de même que Vygotski avait retenu la signification du mot comme unité de base de la pensée verbale, nous avons choisi la signification de la technique comme unité de base de la pratique de l’aikidô.

Rappelons également, comme nous l’avons indiqué dans notre introduction, que le substantif « technique » appliqué à l’aikidô désigne systématiquement dans notre analyse un objet propre à l’aikidô, qui ne renvoie nullement, au sens où nous l’employons, à la considération de l’ensemble des moyens et des procédés auxquels à recours la pratique de l’aikidô. La technique d’aikidô, dans la signification que nous lui prêtons ici, doit être comprise comme une action singulière, pouvant adopter des configurations les plus très diverses et entraîner ou non l’usage d’armes traditionnelles en bois, qui obéit à des principes axiologiques et praxéologiques développés explicitement ou implicitement par l’Ecole. Nous le répétons, ce sont ces caractéristiques principielles, que nous nous sommes efforcé d’approcher dans les parties précédentes et que nous allons étudier d’une manière encore plus systématique dans cette cinquième partie, qui lui confèrent sa nature de technique d’aikidô, appartenant à l’ensemble des techniques d’aikidô avec lesquelles elle partage cette nature commune tout en gardant sa singularité spécifique. Cette précision constitue le point d’ancrage de l’analogie que nous voulons établir entre, d’une part, la technique d’aikidô et l’utilisation qu’en fait le pratiquant et, d’autre part, le mot et le discours du locuteur. Mais dire que la technique d’aikidô, dans le sens que nous accordons au mot, constitue l’unité de base de la pratique de l’aikidô signifie par voie de conséquence que nous postulons que chaque technique d’aikidô possède les propriétés essentielles de la discipline en son entier de la même manière que dans chaque mot est contenue l’entière substance du langage, ainsi que le soutenait Vygotski.

Notre analyse va donc procéder en éclairant successivement les multiples significations que l’aikidoka prête à la technique qu’il exécute ou subit en s’efforçant de ne jamais laisser oublier la nature indivisible des propriétés de cette dernière. Les trois premières dimensions précitées, pour rappel les dimensions rituelle, cognito-affective et motivationnelle seront transversales à cette analyse et la dimension langagière y tiendra une place prépondérante en s’étayant sur ce trépied. D’un point de vue méthodologique, à fin d’approfondir la signification de la technique d’aikidô pour l’aikidoka, nous allons nous efforcer de décliner les multiples aspects que peut revêtir cette signification et qui sont apparus au fil de la construction de nos données. En effet, si nous disposons toujours des modélisations que nous avons introduites afin de servir de grilles de lecture aux phénomènes étudiés, modélisations dont l’usage nous paraît s’être avéré pertinent, nous disposons également maintenant d’autres éléments de compréhension directement issus des réponses au questionnaire et des apports des métarécits. Nous nous proposons par conséquent d’aborder successivement les aspects intrinséques à la technique, puis son aspect relationnel pour enfin en venir à son aspect le plus en lien avec la dimension langagière. Mais le tout premier élément participant à la première approche nous semble relever du contexte dans lequel la technique d’aikidô advient.