Préambule

La succession d’inondations aux conséquences fortement dommageables ces dernières années a souligné la forte vulnérabilité des villes contemporaines face à la contrainte fluviale. Analyser et gérer le risque en milieu urbain impose de considérer la complexité des phénomènes à l’œuvre, à l’interface nature-sociétés, et de dépasser la lecture traditionnellement admise du binôme aléa/vulnérabilité selon laquelle l’aléa serait une donnée constante -la composante active de l’équation- qui s’imposerait à une société plus ou moins vulnérable en fonction de ses moyens techniques et financiers.

Il existe en réalité des interactions fortes entre les dynamiques naturelles et sociétales, en particulier en milieu urbain. D’une part, l’urbanisation modifie le risque en multipliant le nombre et la valeur des enjeux exposés et en anthropisant l’hydrosystème fluvial. D’autre part, la contrainte naturelle n’est pas stable dans le temps mais se traduit au contraire par l’alternance de phases de crise, qui matérialisent la risque, et de phases d’accalmie marquées par l’absence de crues fortes, au cours desquelles la société tend à oublier l’existence de la contrainte fluviale, ou penser que cette dernière est désormais maîtrisée.

On semble avoir là une clé de lecture pertinente pour saisir le risque dans toute sa complexité : l’aléa et la vulnérabilité, pris en tant que sous-systèmes du risque, interagissent et évoluent dans le temps et dans l’espace, et cette évolution varie en fonction des échelles spatiales et temporelles considérées.

Que peut alors nous apprendre une mise en perspective géohistorique et systémique en milieu urbain et périurbain ? Nous allons chercher à asseoir l’idée selon laquelle les héritages naturels comme ceux des politiques de gestion contribuent à territorialiser le risque et permettent de comprendre la situation contemporaine à la lumière des évolutions passées, dans une perspective dynamique qui apporte de ce fait des éléments de prospective. Ce travail avance donc l’hypothèse de la variabilité spatio-temporelle du risque et vise à comprendre le rôle des héritages hydrogéomorphologiques et sociétaux dans la territorialisation du risque. La relation des villes à leur(s) fleuve(s) ne serait pas linéaire mais rythmée au contraire par l’alternance de phases de crise, qui matérialisent le risque et font évoluer les modalités de sa gestion, et de phases plus calmes au cours desquelles le risque évolue silencieusement.

Par-delà la spécificité des territoires, il semblerait qu’on ait là un trait commun aux vieilles villes fluviales, qui fonderait la spécificité du risque d’inondation fluviale en milieu urbain et périurbain.

Comment repérer ces évolutions, les analyser ? Le premier temps de la démonstration vise à poser les termes de la question et ses présupposés théoriques, en s’intéressant au risque d’inondation et à sa gestion aux échelles européennes et nationales ainsi qu’au niveau des principaux bassins versants français, tant du point de vue des héritages que de la réalité contemporaine. Comment interpréter les nombreuses inondations catastrophiques survenues depuis quelques décennies ? Nous chercherons à identifier les enjeux de la gestion actuelle et à repérer des évolutions communes aux différents cas particuliers envisagés.

Dans ce contexte, nous montrerons ensuite la pertinence du cas lyonnais pour approfondir la démonstration.

Les trois parties suivantes seront ainsi consacrées à l’étude géohistorique et systémique du risque au sein du corridor fluvial du « Y lyonnais », à la confluence du Rhône et de la Saône. Par essence, ce terrain d’étude se prête à l’analyse géohistorique puisque la cité lyonnaise va progressivement s’étendre dans la plaine alluviale.

La deuxième partie porte sur une mise en perspective sur le temps long et à l’échelle historique, afin de comprendre les modalités de la construction urbaine en interaction avec la dynamique fluviale. Comment expliquer que Lyon se soit installée dans un espace contraignant, dans le lit majeur de ses deux fleuves, il y a plus de 2 000 ans, et qu’elle ne se soit dotée d’un système de protection qu’au XIXe siècle ? Nous chercherons à montrer que, en sus des considérations socioéconomiques et politiques, la contrainte fluviale était moins prégnante autour de notre ère que dans la période précédente, et a favorisé l’installation humaine. La péjoration hydroclimatique du Petit Age Glaciaire, qui a atteint son paroxysme au milieu du XIXe siècle, semble coïncider avec la mise en œuvre d’un système du système de défense lyonnais.

La troisième partie interroge la situation contemporaine à la lumière de ces héritages. Aujourd’hui, Lyon est-elle une ville à risque ? Il s’agira de diagnostiquer les permanences et les évolutions de l’aléa et de la vulnérabilité afin de comprendre le risque actuel selon une approche multiscalaire.

Le dernier temps de la démonstration portera enfin sur les facteurs d’explication de la réalité du risque dans la région lyonnaise, en s’intéressant au jeu d’acteurs qui fonde les choix des politiques de gestion et façonnent la réalité des territoires.