III. Spécificité du risque de crue fluviale en milieu urbain et périurbain : le rôle des héritages géomorphologiques et politiques

Nous avançons l’hypothèse qu’il existe une spécificité du risque de crue fluviale en milieu urbain et périurbain : il se comprend à la lumière des héritages géomorphologiques et des politiques de gestion, héritages dynamiques que l’approche géohistorique permet de mettre en lumière. Dans les grandes vallées alluviales d’Europe, le risque a été géré pour et par les villes, à une époque où cette dernière s’individualisait par rapport aux espaces ruraux. A l’heure actuelle, bien que l’expansion de l’urbanisation tende à rendre caduque la séparation traditionnelle entre ville et campagne (Pigeon, 2005 et 2007), l’héritage des modes de gestion et des aménagements passés différencie les territoires et fait ressortir la spécificité des grandes villes fluviales occidentales.

Une mise en perspective géohistorique montre en effet que la gestion des inondations a été élaborée au service des villes, lieu de concentration du pouvoir politique et économique, à partir du moment où on est passé de la mise en œuvre de protections modestes dues à des initiatives individuelles et ponctuelles à un aménagement de plus grande ampleur. Ainsi par exemple, R. Dion (1961) a montré comment la bourgeoisie urbaine du Val de Loire a obtenu du roi Louis XI l’intendance des levées de la Loire à partir du XVe siècle, celles-ci ayant été édifiées pour les besoins de la navigation marchande, au détriment des enjeux agricoles, pour lesquels l’inondation, fertilisante, était bénéfique. S’ensuivit l’édification de levées hautes et continues qui reprenaient le système de levées élaboré dès le XIIe siècle. Sous l’administration de Colbert, l’Etat se réapproprie le contrôle de l’endiguement et décide la mise en place de « déchargeoirs » pour remédier aux fréquentes ruptures des ouvrages, mais l’inondation de 1733 favorise le retour à une politique du tout endiguement (ibid.). Il faudra attendre les ruptures de digues et les inondations catastrophiques causées par les fortes crues de 1846 et 1856, pour que l’Etat impose à nouveau la mise en place de déversoirs. Ces mesures s’accompagneront néanmoins du renforcement des levées et l’édification de digues de ceinture au droit des centres urbains, entre le confluent de la Vienne et Nantes ainsi qu’à Tours (Dion, 1961).