I. Réactivation de la problématique du risque d’inondation

I.1. Relance de la question à l’échelon européen et national

Les récentes inondations qui ont touché l’Europe depuis une quinzaine d’années ont remis la problématique des inondations sur le devant de la scène politique, sociale et scientifique. Le territoire communautaire a été touché presque tous les ans par une ou plusieurs inondations de grande ampleur, aux conséquences socio-économiques parfois considérables. Parmi les événements les plus dommageables, citons ceux qui ont touché le Rhin en Allemagne et aux Pays-Bas (décembre 1993, janvier 1995), l’Oder en Pologne (juillet 1997), la région de l’Angleterre et du Pays de Galles ainsi que l’Europe Centrale (octobre 1998), le Danube (mai 1999), l’Angleterre/Pays de Galles et la Suisse/Italie du Nord (automne 2000), la Vistule en Pologne (juillet 2001), l’Elbe et le Danube (août 2002), le sud-est de la France (septembre 2002, décembre 2003), la Roumanie et l’Allemagne/Autriche/Suisse (août 2005), l’Angleterre (juillet 2007). Ces événements ont occasionné plusieurs milliards d’euros de dommages et entraîné la mort de centaines de personnes. En cinq ans, sur la période 1998-2002, près d’un million de km² auraient été recouverts par les eaux selon l’Agence Européenne de l’Environnement (EEA, 2003).

La recrudescence des crues importantes et les pertes graves qui en ont découlé ont matérialisé une aggravation du risque d’inondation et imposé la nécessité de relancer la réflexion sur le risque et ses modalités de gestion. Cet effort s’inscrit par ailleurs dans un contexte d’incertitude lié à l’aggravation probable des inondations par effet du changement climatique global, qui prévoit en particulier l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des précipitations hivernales. Alors que la société enregistre les impacts des aménagements réalisés depuis 150 ans (Bravard et al., 2001), la prise de conscience de la relation complexe entre nature et sociétés a progressivement changé les représentations des risques naturels : « l’urbanisation, les changements d’occupation des sols et le développement socio-économique, ajoutés aux effets de régulation des rivières, ont accru le potentiel des dommages dus aux inondations dans de nombreux bassins et littoraux en concentrant la population et les enjeux dans les zones menacées11 ». On s’oriente peu à peu vers une position intermédiaire entre une conception des risques naturels indépendants de l’homme, où la nature est perçue comme un système fort, qui s’adaptera toujours quelle que soit la perturbation, et la vision d’une nature fragile où l’homme est la cause des catastrophes (J. Berting in Brugnot et al., 2001; Bravard, 2001). On passe ainsi de la volonté cartésienne de maîtrise de la nature et de la confiance quasi-absolue en l’efficacité des mesures physiques, dites structurelles, de lutte contre les crues, à la prise de conscience que le risque zéro n’existe pas et qu’il faudra un jour ou l’autre faire face à un événement exceptionnel, à la survenue duquel il faut se préparer afin d’en éviter ou du moins d’en atténuer les conséquences potentiellement catastrophiques.

La Commission Européenne a engagé une vaste réflexion qui s’est traduite en 2004 par l’élaboration d'un programme d'action européen pour la gestion des inondations et la création d'un cercle européen d'échange sur la prévision des inondations (EXCIFF). L’objectif est triple : il s’agit de développer, mutualiser et diffuser l’information et la recherche, d’optimiser l’utilisation des moyens de financement et d’aboutir à une législation européenne (Martini, 2007). Sur ce dernier point, la Commission a proposé le 18 janvier 2006 une directive « relative à l’évaluation et à la gestion des inondations » fondée sur la cartographie du risque et l’élaboration de plans de gestion à l'échelle des bassins hydrographiques visant à mettre en œuvre une stratégie globale de réduction du risque, transfrontalière, basée sur la prévention, la protection et la préparation aux situations de crise.

A l’échelon national, la prise de conscience de la complexité des interactions homme-nature a débouché sur la volonté d’une approche globale et d’une gestion intégrée des phénomènes. Les inondations ne sont plus perçues seulement comme un handicap contre lequel il faut lutter, mais comme une composante du fonctionnement naturel des milieux qu’il faut intégrer au développement et préserver, voire restaurer (Bravard, 2001; Fustec et Lefeuvre, 2000). En ce sens, la nouvelle loi sur l’eau du 3 janvier 1992 établit la notion de « gestion équilibrée » de la ressource en eau, et met ainsi en place un nouveau cadre pour la gestion globale de l’eau et des milieux aquatiques. D’après l’article 2, la gestion intégrée des différents usages, activités ou travaux doit notamment satisfaire ou concilier les exigences du libre écoulement des eaux et de la protection contre les inondations (Pottier, 1998). L’approche est complétée par la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, ou loi Barnier, qui instaure les principes de précaution et de développement durable.

Cette réflexion s’accompagne d’une redéfinition des cadres d’étude et des échelles de gestion, avec en particulier la revalorisation du concept-clé de bassin versant, pris en tant qu’unité physique de gestion. De nouvelles structures sont mises en place: la loi sur l’eau instaure les Schémas d’Aménagement et de Gestion des Eaux, et la loi Barnier remplace les PER par les plans de prévention des risques, les PPR, élaborés par « bassin de risque », à l’échelle intercommunale le plus souvent. On parle de risque territorialisé, et l’on cherche à adapter la gestion et la prévention à la réalité des espaces concernés par les inondations. Un des enjeux majeurs est de « concilier la Règle qui est de portée générale et s’impose de manière uniforme avec la diversité des situations locales » (Chaline, 1994, p. 165).

On élabore ainsi des outils d’aide à la gestion, en particulier des méthodes d’évaluation consensuelles de la vulnérabilité (Asté, 1994). Le concept de risque acceptable évolue d’une simple acception économique, quantitative, à une approche semi-qualitative (Chardon, 1994), qui accorde plus d’importance à la concertation entre les différents acteurs locaux et à la notion d’enjeux qui devient fondamentale. La fonction des champs d’expansion des crues est réaffirmée, on cherche à en maintenir ou à en restaurer l’inondabilité pour protéger les zones urbanisées où l’enjeu est élevé. La méthode Inondabilité du Cemagref, par exemple, propose un outil permettant d’associer à chaque scénario un bilan de l’ensemble des enjeux, aussi bien économiques que sociopolitiques, et s’inscrit dans une logique de bassin versant (Oberlin et Lambert, 1991). Les auteurs insistent sur la nécessité d’établir une grille de correspondance entre les types d’occupation du sol et la protection minimale demandée vis-à-vis des inondations. Partant de cette diversification des besoins, qui prend acte de l’impasse à laquelle conduit l’homogénéisation de la réglementation, cette approche privilégie l’absence de protection et les aménagements légers. Cela se retrouve également à travers le développement de la protection rapprochée pour un certain niveau de risque.

On assiste à un développement de la culture du risque par le biais des différents acteurs de sa gestion. En ce sens, le rôle des assurances passe de la simple indemnisation à celui de la prévention et à l’observation des mesures réglementaires, grâce à la mise en œuvre de différents moyens tels la modulation des primes, l’institution de franchises et la sophistication des contrats (Chaline et Dubois-Maury, 1994).

L’outil PPR intègre plusieurs de ces évolutions. C’est dans le même objectif de responsabilisation et d’éducation au risque que la loi de 1995 étend les compétences de l’outil réglementaire et prévoit des sanctions pénales et financières pour les collectivités locales comme pour les particuliers ne respectant pas la servitude inondation. Elle permet l’expropriation pour risque naturel majeur. Le zonage et la réglementation PPR s’appliquent désormais à l’existant, et sont pensés comme un cadre modulable en fonction du contexte local (Pottier, 1998; Ministère de l’Environnement, 1999). L’élaboration des PPR associe les acteurs locaux de la prévention du risque, en particulier les collectivités locales.

Notes
11.

Texte d’appel à projets conjoints de recherche européen ERA-Net CRUE, 2006.