II. Le coup de semonce de 2002 : l’enjeu patrimonial, support d’une réflexion sur la réalité du risque

La crue qu’a connue de bassin de l’Elbe en août 2002, d’occurrence au moins cinq-centennale en République Tchèque, a été l’événement hydrologique le plus important des cinq derniers siècles à Prague et la plus grave inondation que la ville ait connue depuis 1890. La crue de la Vltava, affluent de l’Elbe, a dépassé de 70 cm le maximum historique de 1890 dans la traversée de Prague, inondant la capitale tchèque et un tiers des 78 000 km² du territoire national. L’inondation a occasionné plus de 3 milliards d'euros de dommages, soit l'équivalent de plus de 5 % du PNB, selon l'évaluation de l’Unité d'Intelligence Economique (Seidl, 2002). 50 000 personnes ont dues être évacuées dans la capitale, et 200 000 dans l’ensemble du pays.

Après Prague, Dresde fut durement touchée par l’inondation. La ville dut être partiellement évacuée et vit son centre historique envahi par les eaux, en dépit des digues édifiées à la hâte au moyen de sacs de sable. La capitale culturelle de l’Allemagne de l’Est, réputée pour son patrimoine architectural et dont les musées comptent les collections parmi les plus riches d’Europe, tenta tant bien que mal de sauvegarder son patrimoine architectural et culturel. Malgré tout, les dégâts furent énormes. La crue atteignit 9,4 m à Dresde, dépassant de loin le record historique de 1845, où l’Elbe avait coté 8,77 m. Les collections du Palais Zwinger (qui comportent de nombreux chefs d’œuvre de la Renaissance, en particulier la Madone Sixtine de Raphaël) durent être déménagées en urgence et mises à l’abri dans les étages supérieurs. L’opéra Semper fut gravement endommagé et dut être entièrement restauré. Le montant des pertes enregistrées par la ville fut estimé à plus de 100 millions d’euros.

Il semble que les inondations catastrophiques qui ont touché l’Europe centrale en août 2002 ont réactivé la problématique de la ville et de la crue sous l’angle patrimonial : dès lors cet enjeu sert en effet de support à une réflexion sur la réalité du risque dans les vieilles cités fluviales. Les crues de l’Elbe et du Danube ont en effet durement touché les centres historiques de Dresde et Prague, et menacé ceux d’autres villes au riche patrimoine architectural et culturel, telles Salzbourg et Vienne, ou le quartier du château de Buda à Budapest. Le 20 août 2002, l’Unesco adressait ainsi un message de soutien aux villes exposées au risque d’inondation, et soulignait l’enjeu de la préservation du patrimoine17. En novembre 2002, l’Europe créait quant à elle un fonds de solidarité d’une enveloppe annuelle de 1 milliard d’euros qui peut notamment être employé à la mise en œuvre de « mesures de protection immédiates du patrimoine culturel » 18.

Par ailleurs, les difficultés rencontrées à Prague ou Dresde ont rappelé que des crues exceptionnelles, égalant ou même dépassant largement les maxima historiques connus, pouvaient à nouveau se produire et prendre en défaut les systèmes de protection élaborés depuis le milieu du XIXe siècle. En effet, si la plupart des grandes villes sont relativement bien protégées contre les inondations en cas de crue moyenne, comme l’a par exemple montré l’Etude Globale Rhône, un grand nombre reste néanmoins exposées à des événements plus importants. Et dans bien des cas, on ne disposait pas au début du XXIe siècle d’une connaissance actualisée pour un tel risque ni d’un plan de secours à la hauteur des enjeux menacés. Les inondations de 2002 ont souligné la nécessité de ne pas limiter l’affichage et la gestion du risque à la crue centennale, longtemps prise comme crue de référence, ni même à la plus forte crue connue, mais d’envisager l’éventualité d’une crue exceptionnelle. Le Plan Rhône souligne ainsi que « les événements de 2002 en Europe centrale ont rappelé que des crues de très grande ampleur, largement supérieures aux références historiques pouvaient survenir 19  ».

L’analyse des cas praguois et parisien permet de saisir en quoi l’expérience de la catastrophe a changé les pratiques de gestion de ces deux capitales, et pousse à interroger la prise en compte de la problématique des inondations à Lyon, dont l’Etude Globale Rhône a fait ressortir la vulnérabilité. La ville de Paris a rapidement cherché à tirer les enseignements de l’expérience praguoise. Suite à la visite du maire de Paris à Prague en décembre 2003, les deux municipalités ont décidé de collaborer pour prévenir le risque d’inondation et de s’épauler en cas de crise. A la lumière des exemples de Prague et de Paris, il s’agira ensuite de questionner le cas lyonnais : existe-t-il une inquiétude lyonnaise semblable à celle perceptible à Paris face à la probabilité d’une nouvelle crue catastrophique à Lyon ? Comment les différents acteurs abordent-ils la problématique du risque d’inondation dans le contexte actuel ? L’approche de l’Etat et des édiles urbains est-elle complète au regard de ce que les pays voisins ont vécu récemment ?

Notes
17.

source : www.unesco.org

18.

Source : www.europa.eu, décision communautaire IP/02/1686 du 15 novembre 2002

19.

Plan Rhône, cahier inondations, 2005, p. 4.