Paris a toujours su qu’elle restait vulnérable aux crues importantes de la Seine, le dispositif de protection existant permettant d’atténuer la hauteur des eaux de crue sans supprimer l’inondation, mais l’exemple de Prague et Dresde a contribué à accélérer la prise de conscience des pouvoirs publics de l’importance de cette menace.
Suite aux inondations du début des années 1990, des études avaient été lancées dès 1994 afin d’améliorer les connaissances sur les crues du bassin versant de la Seine et d’en évaluer les conséquences socio-économiques à l’échelle de la Région Ile-de-France. La mise au point d’un outil de modélisation hydraulique et socio-économique détaillé avait ainsi été commandée au bureau d’études Hydratec dans l’optique de définir des objectifs de protection de la vallée, d’améliorer la gestion des ouvrages existants et d’éclairer les choix d’investissement par une approche coûts/avantages menée sous l’angle économique (Hydratec, 1998). L’étude avait alors fait ressortir que des dégâts sensibles apparaîtraient pour une période de retour comprise entre 10 et 15 ans selon les vallées, et que le risque était très fort pour une crue inférieure à la centennale : des pertes majeures seraient à attendre dès la crue de période de retour 70 ans, même en tenant compte de l’effet régulateur des barrages (sans les barrages, la période de retour aurait été abaissée à 40 ans). En cas de crue forte, le système de protection mis en œuvre après les crues de 1910 et 1955 doit permettre d’abaisser le niveau des eaux dans la capitale mais il ne supprime pas le risque. Selon les calculs, 15 arrondissements de Paris et 300 000 habitants seraient touchés par une crue importante, et le montant des dommages attendus se porterait à plus de 500 millions d’euros (Hydratec, 1998).
Une des conclusions majeure de l’étude était que la réalisation de barrages supplémentaires ne permettrait pas de supprimer le risque, mais pourrait tout au plus réduire les dommages de 30 %. Ce constat réaffirmait donc la nécessité de conserver les zones d’expansion des crues et d’agir sur la vulnérabilité en contrôlant l’occupation des sols. La construction d’un barrage supplémentaire qui permettrait de porter le volume stockable à 1 000 hm3 fut décidée sur le Haut-Bassin de la Marne, et des solutions complémentaires furent mises à l’étude telle l’augmentation de la submersibilité du champ d’expansion de La Bassée (10 000 ha). Mais malgré les efforts consentis, on ne pourra éviter l’inondation le jour où une crue forte surviendra. L’enjeu est de réduire au maximum les conséquences du débordement et d’anticiper la crise le mieux possible.
A la suite du diagnostic établi en 1998, des plans de prévention du risque d’inondation ont été prescrits dans les huit départements de la Région Ile-de-France, mais les procédures ont tardé à être mises en œuvre, jusqu’à ce que les événements de 2002 viennent rappeler les enjeux d’une meilleure gestion du risque. Les pouvoirs publics et les gestionnaires de services susceptibles d’être inondés s’interrogent : et si Paris, elle-aussi, venait à être inondée demain, quelles en seraient les conséquences ? Serait-on à même de faire face à une telle crise sans que le scénario ne devienne catastrophique ?
Un peu plus de trois mois après l’inondation de Prague, le préfet de police a convoqué les 330 maires de la région Ile-de-France pour les sensibiliser à l’importance de la problématique des inondations et les pousser à accélérer les procédures réglementaires en cours d’élaboration. La moitié des PPRI de l’Ile-de-France était achevée en 2003, et la dernière de ces procédures vient d’être approuvée dans les Yvelines en juillet 2007.
Le PPRI du département de Paris, prescrit le 17 juin 1998, a été approuvé le 15 juillet 2003, puis révisé en 2006-2007 afin de mieux évaluer les risques encourus par les bâtiments publics. Etant donné la densité du bâti dans la capitale, le zonage réglementaire vise surtout à réduire les risques en diminuant la sensibilité des enjeux. Les pouvoirs publics ont choisi de ne pas tenir compte de l’amélioration apportée par les digues et les barrages-réservoirs pour définir l’aléa de référence. Ils ont en effet estimé que l’effet bénéfique des travaux de protection est très probablement annihilé par l’augmentation des volumes ruisselés du fait de l’imperméabilisation des surfaces urbanisées et de l’aggravation probable des événements de pluie intenses par effet du changement climatique global. Pour ces raisons, l’aléa de référence n’a pas été déterminé en fonction du débit maximum historique mais en fonction des plus hautes eaux connues : les niveaux atteints en 1910 dans le lit mineur ont été reportés sur la topographie actuelle afin de délimiter l’importance de l’aléa. Néanmoins, l’éventualité de voir un jour survenir une crue supérieure à la centennale, comme ce fut le cas sur l’Elbe en 2002, n’est pas évoquée. On ignore donc quelles seraient les conséquences d’un scénario millénal à Paris.
La notice de présentation du PPR de la Seine est révélatrice de l’importance de l’enjeu patrimonial aux yeux des pouvoirs publics. Le document dresse l’inventaire détaillé des enjeux menacés par l’inondation : les monuments historiques et les sites classés se trouvent en tête de liste, devant les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), les administrations publiques et les ambassades, les établissements de santé et les autres services publics stratégiques (réseaux de transport en commun et d’électricité notamment).
Le rapport souligne « l’intérêt patrimonial » et l’énorme valeur des biens abrités dans les 384 bâtiments concernés, en particulier le palais du Louvre, le Petit Palais et le Grand Palais. Parmi les sites classés, citons le Jardin des Plantes, l’esplanade des Invalides ou la Place de la Concorde. Il est précisé par ailleurs que 29 musées (parmi lesquels ceux du Louvre, d’Orsay, des Arts Premiers, le Muséum d’Histoire Naturelle, le Grand et le Petit Palais et le musée Carnavalet) et 16 bibliothèques se situent dans la zone inondable par la crue de référence : « l’enjeu pour ces établissements réside dans la protection de leurs collections ou de leurs biens qui représentent un patrimoine national particulièrement important » 22 .
En plus de ces enjeux culturels, de nombreux bâtiments abritant des autorités de premier plan sont menacés (l’Elysée, l’Assemblée nationale et presque tous les ministères, 21 ambassades), ainsi que 35 % des hôpitaux de Paris, 3 gares SNCF, de nombreuses stations de métro (si une station venait à être inondée, il faudrait 6 mois pour remettre le réseau en service) et une partie du réseau d’électricité. Au total, plus du cinquième des surfaces de Paris (2138 ha) et plus de 271 000 habitants des 16 arrondissements de la ville sont concernés. La survenue d’une inondation atteignant la cote des plus hautes eaux de 1910 inonderait 250 km² dans la région parisienne et affecterait 500 000 Franciliens. Elle coûterait entre 8 et 9 milliards d’euros.
Le PPRI a débouché sur l’élaboration d’un plan spécialisé de secours afin d’assurer la sécurité des parisiens, adopté le 1er septembre 2003 (Reghezza, 2006). Les organismes en charge de missions de service public doivent établir un plan interne de sauvegarde contre les inondations « afin d’identifier leur vulnérabilité propre et de prendre toutes les mesures constructives ou organisationnelles leur permettant d’assurer la protection du patrimoine placé sous leur garde ou de réduire autant que possible les perturbations causées aux usagers de ces services publics » 23 . Seuls les ouvrages de la Bibliothèque Nationale sont à l’abri car le niveau de la crue de 1910 a été pris en compte lors de son aménagement. A l’inverse, d’importants travaux d’agrandissement réalisés au cours des années 1980 et 1990 aux musées d’Orsay et du Louvre ont abouti à l’aménagement en sous-sol inondable d’importantes superficies destinées aux réserves et à des espaces d’exposition supplémentaires (12 700 m² pour le seul musée du Louvre).
La Direction des Musées de France a arrêté un plan de sauvegarde en deux temps : de façon préventive, les réserves les moins utiles aux recherches des conservateurs ont été déplacées début 2003 dans un site de stockage non inondable de 10 000 m² situé au nord de Paris. Parallèlement, un plan de mouvement en interne a été élaboré afin d’être en mesure de mettre les œuvres à l’abri dans les étages non inondables des musées dans un délai de 72 heures, une fois la cote d’alerte atteinte.
Dans sa thèse, M. Reghezza (2006) montre que de nombreuses incertitudes demeurent cependant quant au déroulement d’une crise dans la capitale, et souligne certaines lacunes du scénario envisagé et du plan de gestion de crise qui en découle.
Lyon, ville située au confluent du Rhône et de la Saône, qui abrite le plus grand ensemble Renaissance d’Europe et dont le centre historique a été classé au patrimoine mondial de l’Unesco, entre elle aussi dans cette problématique. Une partie du Vieux Lyon et la totalité de la Presqu’Ile sont situées dans le lit majeur historique du Rhône et de la Saône. Or, au début du XXIe siècle, nul ne savait quelle pouvait être l’ampleur du risque d’inondation dans l’agglomération. Dans la ville elle-même, on ignorait quelle serait l’extension d’une inondation d’un débit identique ou supérieur à celui des crues historiques de 1840 et 1856. On trouve d’ailleurs peu de repères marquant le niveau de ces grandes crues, qui ont pourtant inondé une grande partie de la ville (B. Faou, 2005).
DULE, Notice de présentation du PPRI de la Seine dans le département de Paris, 2003, p. 14
DULE, Notice de présentation du PPRI de la Seine dans le département de Paris, 2003, p.16