I.1.c. Risque, urbanisation et territoire

Les travaux portant sur la dialectique risque-urbanisation plaident également en faveur d’une démarche unitaire d’explication du risque (Pigeon, 1994 et 2005; Pigeon et d’Ercole, 1994; Chaline et Dubois-Maury, 1994 ; November, 1994 et 2002 ; Laganier, 2002).

L’approche phénoménologique des risques urbains développée par P. Pigeon insiste sur la prise en compte de l’endommagement direct et diffus en tant que matérialisation territoriale du risque (Pigeon et D’Ercole, 1994; Pigeon, 2001 et 2005). Cette démarche, déjà développée au chapitre 1 de cette partie, s’appuie sur une analyse systémique du risque et s’intéresse aux effets en retour de l’urbanisation sur l’évolution de l’endommagement, sur sa reconnaissance sociale et politique comme sur sa manifestation physique (Pigeon, 2005).

Certains auteurs s’intéressent plus particulièrement aux relations entre risque et territoire comme clé de lecture de la complexité des phénomènes. La ville n’est pas abordée comme un simple espace de manifestation du risque, mais comme un espace hétérogène issu d’un mouvement incessant de construction-destruction (Lavigne et al., 1998) : les valeurs sur lesquelles le risque est fondé vont différencier les lieux du territoire. Des trajectoires individuelles ou collectives spécifiques pourront être observées en fonction de cette valorisation différenciée de l’espace (November, 1994).

A partir du cas de risque de crue centennale dans la métropole parisienne, M. Reghezza (2006) montre ainsi comment les recompositions spatiales liées à la métropolisation ont modifié les formes de l’endommagement potentiel et créé de nouvelles vulnérabilités. S’appuyant sur une approche synthétique de la vulnérabilité en tant que potentiel d’endommagement et en tant que capacité de résistance sociale aux perturbations, l’auteure propose de dépasser l’approche segmentée du risque liée au binôme aléa/vulnérabilité par une prise en compte de la vulnérabilité globale, qui permet de prendre en compte les chaînes de risque selon une approche multiscalaire, et de réintroduire l’espace géographique comme outil de compréhension du risque. M. Reghezza propose ainsi une nouvelle grille de lecture du risque : aux deux niveaux de vulnérabilité souvent identifiés, à savoir l’endommagement matériel causé par l’aléa inondation et l’endommagement fonctionnel, elle introduit un troisième niveau intermédiaire qui articule les deux premiers : le niveau structurel ou niveau de désorganisation pouvant diffuser les dysfonctionnements à une échelle plus vaste. L’approche s’appuie sur une analyse du scénario catastrophe possible en cas de crue atteignant des niveaux analogues à ceux observés en 1910 : cette analyse est basée sur une reconstitution du scénario envisagé par les pouvoirs publics et complétée par des enquêtes au moyen de questionnaires-type auprès des acteurs de la gestion.

Au début des années 1990, N. Pottier a quant à elle mis au point une démarche d’évaluation de l’impact des mesures non-structurelles de gestion de l’inondation sous l’angle de la territorialisation des politiques publiques (Pottier, 1998). Cette approche, progressivement enrichie par les retours d’expérience (Pottier et Hubert, 1998 ; Pottier et al., 2003 ; Hubert et De Vanssay, 2005), considère que l’appropriation locale des outils de cartographie réglementaire traduit la territorialisation de l’action publique. La méthode est basée sur une double évaluation de l’outil réglementaire menée à partir de critères qualitatifs et quantitatifs. D’une part, il s’agit d’évaluer la pertinence de sa mise en œuvre en reconstituant a posteriori son processus d’élaboration. L’analyse porte d’autre part sur une évaluation de la performance de ces mesures en termes d’efficacité de résultat et en termes d’effets induits (changement d’affectation des usages du sol, évolution des paysages, transformation des comportements sociaux vis-à-vis de la réglementation par exemple). Le protocole d’étude est basé sur une analyse documentaire, des observations de terrain et des techniques dites « vivantes », à savoir des entretiens semi-directifs et des enquêtes par questionnaire menées auprès des acteurs de la gestion et de la population.