I.2. La prise en compte du temps et de l’espace : la notion de variabilité spatio-temporelle

I.2.a. L’approche géohistorique du risque fluvial et le rôle des héritages des politiques de gestion

La prise en compte de la notion de variabilité spatio-temporelle, appliquée à l’aléa et à la vulnérabilité, enrichit l’équation classique et offre une nouvelle clé de lecture du risque. En ce sens, un éclairage nouveau est apporté par l’approche géohistorique du risque d’inondation.

Des travaux de géographie régionale se sont intéressés à l’évolution des paysages et à l’histoire des aménagements fluviaux dès les années 1930. Dans sa thèse sur la moyenne Garonne, P. Deffontaine (1932) a procédé à une mise en perspective non pas chronologique mais rétrospective pour étudier le changement des paysages ruraux de la vallée. Cependant la méthodologie développée par l’approche géohistorique trouve ses fondements dans les travaux pionniers de R. Dion sur le Val de Loire (1933 et 1961). Dans une perspective diachronique, R. Dion a procédé à l’analyse de l’adaptation des établissements humains à la topographie fine et à la variation des cotes de submersion en lien avec le développement et la surélévation de l’endiguement. L’auteur a ainsi reconstitué la genèse des levées de la Loire depuis le XIIe siècle et analysé l’évolution du profil des levées depuis le XVIe siècle en relation avec la chronologie et les caractéristiques des inondations, observées plus finement sur la période 1845-1929 (observation quotidienne des hauteurs d’eau sur les principales stations du cours de la Loire pour analyser les caractéristiques des débordements, la fréquence des submersions, leur répartition mensuelle et leur durée).

Plus récemment, B. Desailly (1990), J.-M. Antoine (1992) et D. Cœur (2003) ont développé des approches parentes dans les Pyrénées orientales et dans les Alpes, appliquées à des cours d’eau torrentiels jusqu’alors peu étudiés, du moins sous cet angle. L’approche de ces auteurs est basée sur la reconstitution de la chronique des inondations sur la période d’étude (XVIIe-XXe siècles) pour apprécier le rôle déclencheur des événements importants dans la transformation des modes de gestion des crues et de leurs débordements. A la lumière de cet inventaire, qui fait ressortir une alternance de périodes concentrant des événements importants et des phases plus ou moins longues d’accalmie, les auteurs analysent le processus complexe de gestion du risque depuis les motivations explicites et implicites des différents acteurs (analyse de discours des différents groupes sociaux) jusqu’à la réalisation concrète des mesures de gestion. Il s’agit de diagnostiquer, dans une perspective diachronique à l’échelle historique (plusieurs siècles), l’emprise et les conséquences spatiales des inondations en relation avec les actions de gestion mises en œuvre, pour apprécier le rôle déclencheur des événements catastrophiques dans la transformation des modes de gestion. La méthodologie est basée sur une analyse critique des archives textuelles et iconographiques disponibles (tirées essentiellement des départementales) et de la littérature existante.

La géohistoire systémique, quant à elle, introduit la notion de variabilité spatio-temporelle appliquée à l’aléa et à la vulnérabilité. Si le risque résulte du croisement entre aléa et vulnérabilité (Dauphiné, 2001), aléa comme vulnérabilité évoluent, et cette évolution varie en fonction des échelles d’observation. L’accent est mis sur le rôle des héritages des politiques de gestion et des aménagements et structures de gestion qui en découlent (Laganier, 2002 et 2006). A l’échelle du bassin versant et à un pas de temps historique, l’évolution de l’occupation des sols modifie les terroirs hydrologiques et joue donc sur les volumes ruisselés ainsi que sur le temps de transfert bassin versant/lit mineur (Scarwell et Laganier, 2004). L’approche géohistorique s’intéresse également à la dialectique entre risque et urbanisation, notamment au fait que la vulnérabilité évolue en relation avec la modification de l’occupation du sol : de nombreuses études mettent en avant l’augmentation de la vulnérabilité due au développement des enjeux en zones inondables (ibid. ; Veyret et al, 2003 ; Dauphiné, 2001).

R. Laganier appréhende ainsi le risque d’inondation sous l’angle des interactions entre la société et l’hydrosystème dans une perspective de territorialisation, en tant qu’élément d’organisation spatiale (Laganier, 2002 ; Laganier et Scarwell 2004 ; Laganier et al., 2006). Les interactions homme-milieu ne peuvent être appréhendées sans prendre en compte à la fois le temps et l’espace, ce qui ouvre sur la notion de variabilité spatio-temporelle du risque et des dynamiques qui le composent. L’auteur développe des méthodes d’approche complémentaires selon un jeu scalaire, en particulier les outils de la cartographie (télédétection et systèmes d’information géographique notamment) qui permettent de spatialiser les interactions, et ceux de l’approche socio-spatiale basée sur un travail d’enquête permettant l’analyse des enjeux et des réseaux d’acteurs. Il s’intéresse à l’évolution historique du système du risque, qui permet d’analyser la territorialisation de la contrainte fluviale : il s’agit de comprendre les modalités de gestion actuelle et leur traduction spatiale à la lumière des héritages des politiques de gestion passées. L’approche géohistorique ouvre également sur une dimension prospective à travers une démarche d’évaluation des politiques publiques de gestion, dont elle doit favoriser l’appropriation collective.

L’approche géohistorique peut par ailleurs être enrichie par les travaux de la dynamique fluviale, de la géomorphologie dynamique et de la géoarchéologie, qui viennent enrichir le concept classique d’aléa basé sur l’hydrologie.