I.2. La formation de plusieurs niveaux de terrasse au sein du corridor fluvial

La reconquête forestière qui accompagne la fin des temps glaciaires réduit l’intensité de la charge solide. Cela entraîne l’ajustement du système fluvial : le niveau du lit du Rhône et de la Saône s’abaisse, ce qui aboutit à la création de plusieurs terrasses dégagées dans le matériel würmien. Dans l’est lyonnais (fig. 7), la série de basses terrasses emboîtées identifiées par P. Mandier (Mandier, 1984) est héritée des modalités de la déglaciation würmienne et s’explique par trois « pulsations majeures » du glacier du Rhône à l’amont de Lyon. A Balan, la terrasse de la Valbonne se décompose de ce fait en un niveau sommital cotant 194-195 m et des couloirs secondaires de creusement à 192 et 190 m. En aval de la Boisse, ces niveaux fluvio-glaciaires ont été érodés : seule subsiste la terrasse de Saint-Maurice de Beynost, à 188 m d’altitude (Bravard, 1985). En rive gauche du Rhône, la terrasse würmienne de Villeurbanne-la Guillotière se situe à 175 m, soit une altitude relative d’une dizaine de mètres par rapport à la bande d’activité contemporaine.

Par érosion régressive depuis le confluent, la Saône s’est elle aussi incisée dans ses alluvions würmiennes. J-P Bravard a émis l’hypothèse que la terrasse caillouteuse de Villefranche, située elle aussi à 175 mètres, serait contemporaine du niveau de Villeurbanne (Bravard et al., 2002). La basse terrasse sableuse qui ceinture la plaine de Vaise à une altitude relative de 6 à 12 m par rapport à la plaine actuelle serait quant à elle contemporaine des stades C et D de P. Mandier (vers 18 000-15 000 BP). L’hypothèse la plus probable est celle d’une importante accumulation sableuse dans un environnement fluviolacustre résultant du barrage des écoulements de la rivière par les alluvions du Rhône (terrasse de la Guillotière) (Bravard et Salvador, 1999).

Fig. 7. Datation absolue des unités spatiales de la plaine du Rhône en amont de Lyon
Fig. 7. Datation absolue des unités spatiales de la plaine du Rhône en amont de Lyon

(source : Bravard et al., 1995).

Une phase brutale de refroidissement climatique expliquerait ensuite une importante réaccumulation sédimentaire dans les fonds de vallée, à la charnière entre le Tardiglaciaire et l’Holocène (11 000-9 000 BP) (ibid.) : dans la plaine du Rhône à Lyon, un important remblaiement d’au moins 5 à 6 mètres aurait recouvert la plaine entre l’Alleröd et la fin du Boréal, atteignant une altitude supérieure à celle que gagneront ensuite les niveaux fluviatiles holocènes. Ce niveau, d’une altitude relative supérieure de un à deux mètres par rapport au sommet des bancs caillouteux du Rhône moderne (163-165 m à Lyon), correspond au maximum de l’extension du Rhône vers l’est, et a été repéré à la Boisse, Meyzieu et Villeurbanne. Comme au maximum du Würm, l’accumulation des alluvions du Rhône a barré l’exutoire de la Saône et provoqué une accumulation rapide de sédiments fins dans la plaine de Vaise, relayée à l’amont par une sédimentation fluviatile. (Bravard et al., 2002).

L’Atlantique (6800-5400 BP)  inaugure ensuite une phase de déplacement vers l’ouest et d’expansion de la bande active qui culminera au Ier Age du Fer. Selon Bravard (1995a), il est probable que le Rhône ait d’abord connu une phase d’incision au début de cette période, s’enfonçant dans le remblaiement caillouteux mis en place dans la période précédente et abandonnant la basse terrasse de Villeurbanne (163-165 m à Lyon), puis ait ensuite été marqué par une phase d’aggradation dans une période de forte activité.

Ce qui subsiste des très bas niveaux atlantiques, perchés depuis l’enfoncement qui a suivi, correspond vraisemblablement aux secteurs de plaine épargnés par la crue de 1856. Sur la carte géologique au 1/50 000e, un lambeau de terrasse est identifiable à 190 mètres, en contrebas du hameau du Pollet (Bravard, 1985). L’observation de la limite de l’inondation de 1856 à partir de la carte du Cours du Rhône au 1/10 000, levée et gravée de 1857 à 1866, permet également de repérer ce niveau au sud-est de Balan vers 186 mètres (entre le village de Balan et la ferme du content), à Niévroz et à Thil, au lieu dit la Verchandière à Meyzieu, au lieu dit Malbois abritant la ferme Martel à Meyzieu, à l’emplacement du vieux village de Vaulx-en-Velin, et enfin plusieurs « mollards » à Villeurbanne dont celui de Château Gaillard.

C’est très certainement à la même période - probablement vers 6 000-2 500 BP, en tout cas avant le Second Age du Fer - que la partie aval du Val de Saône a été remblayée par les apports massifs de la charge de fond de l’Azergues, dont le matériel caillouto-graveleux compose la basse terrasse de Quincieux. Cette dernière, d’une altitude de 166-169 mètres, a ensuite été perchée par l’incision de la Saône à l’époque protohistorique et historique. L’entrée sédimentaire massive fournie par l’Azergues « a durablement affecté le cours aval de la Saône dont le fonctionnement s’est dès lors dissocié de celui de la Grande Saône »40 (Bravard, 1997 ; Bravard et al., 2002) : à l’aval du confluent de l’Azergues, le profil en long de la Saône lyonnaise, dont la pente est nettement plus marquée qu’à l’amont, est contrôlé par l’apport sédimentaire en provenance du Massif Central (ibid.).

La période de forte accumulation fluviale centrée sur le Ier Age du Fer (800-350 BC) aboutit à la mise en place du plancher alluvial du site de Lyon (fig. 8). Cette période correspond à la construction progressive de la Presqu’Ile, dont la configuration originelle différait fortement, comme on peut s’en douter, de celle que l’on connaît aujourd’hui. Tandis qu’une importante charge graveleuse est accumulée par trois chenaux mobiles du Rhône d’orientation NE/SE, situés au niveau des places de la Bourse, de République, et de Bellecour, la Saône est repoussée à l’ouest et plaquée au pied de la colline de Fourvière, dont elle entaille le versant. Au sortir de la plaine de Vaise, dans laquelle elle s’étale, la rivière est ainsi contrainte en un chenal étroit et unique, au niveau du défilé de l’Homme de la Roche, emprunte le tracé des actuelles rues du Bœuf et Tramassac, avant de confluer au Rhône, jusqu’au début IIIe siècle BC (fin de la Tène), sous la place B. Crépu actuelle. Jusqu’à la fin du Ier Age du Fer, la contrainte fluviale ne permet donc pas encore l’occupation de la Presqu’Ile, qui reste trop hostile. Toutefois, deux secteurs sont d’ores et déjà le lieu d’implantations humaines et correspondent ainsi aux sites primitifs de Lyon : d’une part la plaine de Vaise et ses versants bordiers, d’autre part le quartier Saint-Vincent, au pied de la colline de la Croix-Rousse, occupé dès cette époque en vertu de sa position abritée des fluctuations du Rhône (Bravard et Salvador, 1999).

Fig. 8. Coupe est-ouest dans le remplissage sédimentaire de la plaine du Rhône à Lyon au niveau de la presqu'ile
Fig. 8. Coupe est-ouest dans le remplissage sédimentaire de la plaine du Rhône à Lyon au niveau de la presqu'ile

(source : Salvador et al., 1995).

Notes
40.

Bravard et al., 2002, p.96