II. Un paysage fluvial en pleine mutation devenu favorable à l’installation humaine à l’arrivée de la colonie romaine

II.1. Variabilité spatio-temporelle de la contrainte fluviale

La cartographie des grandes inondations du XIXe siècle ne permet pas de rendre compte de la réalité du risque d’inondation à l’Antiquité, ni au Moyen-Age, car la géométrie du champ d’inondation et les modalités de mise en eau de la plaine étaient bien différentes. En effet, on sait aujourd’hui que le paysage fluvial d’alors n’était pas du tout le même que celui des époques moderne et contemporaine : à partir de la fin de la Protohistoire et jusqu’au début du Petit Age Glaciaire, le Rhône développait un style à méandres et la tendance générale était à l’incision. Par conséquent, l’aléa inondation était relativement faible par rapport aux périodes précédente et suivante : les crues étaient très probablement moins fréquentes, elles étaient plus lentes et atteignaient des niveaux moindres. C’est la métamorphose des organismes fluviaux amorcée à la fin du Second Age du Fer qui a rendu possible la colonisation des terres basses : avant cela, le corridor fluvial était impropre à la colonisation humaine. A la fin du Moyen-Age, alors que Lyon s’est développée sur les bords de Saône, en Presqu’Ile, et convoite de nouveaux espaces à gagner sur le fleuve, la péjoration hydroclimatique du Petit Age Glaciaire entraîne une aggravation de l’aléa et recrée, probablement avec plus d’acuité, les conditions défavorables qui prévalaient avant notre ère. En découlera une succession d’adaptations hydrauliques aboutissant à la volonté d’une protection définitive de la ville contre les crues.

Depuis la découverte d’un vestige de quai romain au cœur de la Presqu’Ile signalée par l’archéologue Artaud en 1846, la communauté scientifique a été animée par le souci constant de comprendre les conditions de formation de la plaine alluviale ainsi que les modalités de son occupation. L’enjeu était double : d’une part localiser l’emplacement du confluent du Rhône et de la Saône à l’époque romaine, d’autre part confirmer l’existence d’anciens bras fluviaux ouverts à travers la Presqu’Ile et en préciser le nombre et le tracé. A travers ces questionnements, il s’agissait de pouvoir déterminer quand a pu commencer l’occupation de la plaine et comment le processus d’urbanisation a pu se mettre en place (Arlaud et al., 1994).

Dans un article synthétique publié en 1982, A. Desbat fait l’état des découvertes et des hypothèses concurrentes. Les travaux de géoarchéologie menés depuis sur le site de Lyon ont permis une meilleure compréhension des conditions de formation de la plaine alluviale et de son occupation, et élargi la prise en compte de cette question aux abords de la cité. Les fouilles menées dans le quartier Saint-Jean, au pied de la colline de Fourvière et dans la Presqu’Ile, ont permis de nuancer les hypothèses émises jusqu’ici : alors que le Rhône et la Saône étaient jusque-là considérés comme fixes sur leur tracé actuel depuis l’Antiquité, on sait maintenant que le réseau a migré depuis le pied de la colline de Fourvière jusqu’à son emplacement actuel.

Il a été démontré que la plaine n’était pas urbanisable à l’Age du Fer, car la contrainte fluviale y était trop forte (Arlaud et al., 1994). C’est seulement au tournant de l’ère qu’a été mise en œuvre l’utilisation de l’espace, rendue possible par une atténuation de l’aléa résultant de la contraction et de l’incision des fleuves dans une période de calme hydroclimatique.