III. Nouveaux quartiers et construction d’un endiguement continu en rive droite du Rhône

Après la conquête des terres marécageuses de la Presqu’Ile, la ville dont l’essor démographique est stimulé par le très grand développement de la soierie, ne dispose plus d’espaces favorables à son extension. Limitée par les versants abrupts des collines de Fourvière et de la Croix-Rousse, gênée côté Rhône par l’importance de la contrainte fluviale, elle ne s’étale plus mais s’élève (Kleinclausz, 1925). Les maisons de 5 à 6 étages s’entassent sur les bords de Saône et en Presqu’Ile, dont la densité contraste avec les collines et la rive gauche du Rhône qui restent pour leur part des campagnes quasiment vides.

Parallèlement, le développement des activités industrielles et commerciales et l’enrichissement des élites urbaines se traduit par la conquête bourgeoise des campagnes lyonnaises : les granges et métairies se multiplient dans la deuxième moitié du XVIe (Latreille, 1975). Toutefois, les ruraux ne sont pas riches car les terres médiocres prédominent, et le développement d’activités d’appoint, en particulier le tissage et le moulinage pour le compte de la ville, ne suffiront bientôt plus à nourrir une population de plus en plus dense. Dès le XVIe siècle, les habitants des campagnes lyonnaises émigrent vers la ville. Cas unique en France, déjà 45 % de la population de la région lyonnaise est urbaine au début du XVIIIe siècle (ibid.), alors que le phénomène continue à s’amplifier : pendant la deuxième moitié du XVIIIe siècle, 2 000 personnes arrivent chaque année à Lyon (Latreille, 1975 p 228). 

Avec 105 700 habitants en 1700, et 115 836 en 1762 pour seulement 4770 maisons, selon les estimations de Kleinclausz (1925), la ville de la fin de l’Ancien-Régime est surpeuplée, d’autant plus qu’une part importante des terres est possédée par les ordres religieux. En 1789, les trois quarts de la Presqu’Ile sont occupés par les terrains religieux : 184 ha sont réservés à une minorité d’à peine 30 000 personnes, les 90 000 habitants laïcs se partageant seulement 53 ha (ibid.), soit une densité de près de 170 000 hab./km² ! Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, la question de l’extension de la ville s’impose donc avec de plus en plus de force aux élites politiques et sociales, qui vont s’atteler à la question du remodelage de la ville et élaborer de grands projets d’extension et d’embellissement. On va alors entreprendre de gagner de nouvelles terres sur l’espace du fleuve. Or, comme on l’a vu, cette période correspond justement à un moment d’ajustement du fleuve à la péjoration hydroclimatique du Petit Age Glaciaire, qui se traduit par une expansion de la bande active et une aggravation de l’aléa. De ce fait, les aménagements entrepris vont entrer fortement en interaction avec la dynamique fluviale.

Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, Lyon cesse de tourner le dos au Rhône et investit la rive droite du fleuve, qui va être progressivement aménagée et régularisée au moyen des premières opérations privées d’urbanisme (cf. carte synthétique fig. 19 page suivante). Des Terreaux à Ainay, les courtines sont percées et l’étroit chemin qui longeait la grève est remplacé par une large chaussée bordée de quais et de ports plus ou moins sommaires. A l’amont et à l’aval de la ville, de nouveaux quartiers sont gagnés sur l’espace du fleuve.

Fig. 19. L’endiguement continu de la rive droite du Rhône et les nouveaux quartiers gagnés sur le Rhône au XVIIIe siècle.
Fig. 19. L’endiguement continu de la rive droite du Rhône et les nouveaux quartiers gagnés sur le Rhône au XVIIIe siècle.