I.3. La digue de ceinture des Brotteaux (1836-39)

Par une délibération en date du 30 août 1826, le Conseil Général du département fait part aux Ponts-et-Chaussées de sa crainte que le Rhône ne migre vers sa rive gauche au pied des balmes viennoises et qu’il abandonne Lyon en rive droite, se frayant un passage à travers les Brotteaux et la Guillotière.

A l’époque, deux solutions sont envisagées : une digue de ceinture allant de Vaulx-en-Velin à Lyon, ou un endiguement plus complet ancré nettement plus à l’amont, à Jonage, proposé par l’ingénieur en chef du département Favier et soutenu par le Conseil Général qui reproche au projet de digue de ceinture de ne servir que les intérêts lyonnais. Le Conseil général des Ponts-et-Chaussées envoie alors l’ingénieur Dausse pour se consacrer exclusivement aux plans et travaux à exécuter pour « encaisser » le Rhône59. Le mémoire de Favier sur les moyens à employer pour fixer le lit du Rhône depuis Jonage jusqu’à Lyon sert de base à la réflexion de Dausse (Bravard, 1985). Plusieurs projets successifs sont alors élaborés mais, face à l’ampleur et au coût de l’entreprise, ce n’est que dix ans plus tard que les travaux seront lancés.

La réalité du danger est attestée par le deuxième rapport de M. de Prony, qui confirme que l’endiguement, pour être efficace, doit être ancré à Jonage. Une soumission est ainsi faite à Lyon le 25 novembre 1830 au nom de la Compagnie des Desséchements, créée à Paris en 1827. L’avant-projet de l’ingénieur Sinot imagine une « grande digue » droite (plus de 19,3 km de long et 5,25 m de haut), arasée au-dessus du niveau de la crue de 1812 et formant une chaussée carrossable de Jons à l’amont du quai d’Albret. En plus de rendre enfin possible la valorisation agricole de terres jusqu’alors inondables60, l’ouvrage devait permettre de fixer le cours du Rhône jusqu’à la Tête d’Or pour supprimer le risque de défluviation et faciliter l’endiguement du Rhône du pont Morand à La Mulatière61.

Une digue insubmersible, dite « digue en terre de surverse des Brotteaux », est finalement décidée en 1836 pour protéger les communes de Villeurbanne et de la Guillotière. L’exécution du projet des Ponts-et-Chaussées est assurée par des ateliers de charité encadrés par le génie militaire, permettant d’employer les ouvriers en soie au chômage suite à la crise des Amériques. Les travaux se sont élevés à 2 410 000 francs de l’époque, financés pour moitié par l’Etat, à hauteur d’un tiers par les Hospices, le reste des dépenses incombant à charge égale aux communes de Lyon (1/12e) et de la Guillotière (1/12e)62. Par la suite, les travaux d’entretien et de réparation sont financés à hauteur d’un tiers par l’Etat, le reste des dépenses incombant à charge égale aux communes de Villeurbanne et de la Guillotière. L’ouvrage, long de près de 7,5 km, s’appuie à l’amont sur le coteau des Balmes viennoises puis emprunte le tracé d’un ancien méandre du fleuve bordant les marais de Vaulx, à la limite de Vaulx-en-Velin et de Villeurbanne, englobe ensuite la ferme de la Douai (qui deviendra la Doua) avant de longer l’ancienne île Chevaline, devenue bois de la Tête d’Or, au nord de la ferme du même nom, pour venir enfin s’ancrer à l’extrémité du quai d’Albret (fig. 26). Il consiste en un remblai de 4,5 m de haut aux talus inclinés, large de 3 m en couronne et arasé à 60 cm au-dessus du niveau de la grande crue de 1812. Le corps de la digue est constitué de terre sablonneuse pilonnée, empruntée en arrière de l’ouvrage, et recouverte de 50 à 60 cm de terre végétale engazonnée63.

Dans la foulée, on continue à fixer le tracé du Rhône pour défendre la berge et garantir la digue en terre des corrosions du fleuve en prolongeant la digue de la Tête d’Or vers l’amont par la digue du Grand Camp, édifiée en 183964.

Comme l’a souligné J.-P. Bravard, « l’opération semble avoir manqué de coordination puisque l’armée, locataire des communaux de Villeurbanne et de terres des Hospices de Lyon, découvrit très vite que le « Grand Camp » était coupé en deux par la digue» (Bravard, 1985, p. 350). Dans une lettre adressée au Préfet du Rhône le 2 septembre 1839, l’inspecteur général d’artillerie Charbonnet demande l’autorisation de reculer la partie de l’ouvrage traversant la ligne de tir du terrain de manœuvre65. Non content de trouver là un nouveau moyen d’employer les ouvriers au chômage, et malgré l’extrême réticence des Ponts-et-Chaussées qui craignent pour la stabilité de l’ouvrage, le préfet autorise le Génie militaire à reconstruire la section incriminée selon le tracé des parcelles cadastrales, perpendiculairement à l’écoulement des eaux. Mais la nouvelle portion de digue sera construite sans épaulement et au moyen de matériaux légers66. Moins d’un an plus tard, l’inquiétude des ingénieurs du Service de la Navigation se trouvera confirmée : lors de la terrible inondation de novembre 1840, la digue de surverse cédera au niveau du tronçon récemment déplacé qui se trouvait face au courant67.

Notes
59.

Délibération du Conseil Général des Ponts-et-Chaussées du 20 octobre 1827

60.

AML 342WP001, Société Royale d’Agriculture, d’Histoire Naturelle et des Arts Utiles de Lyon, séance extraordinaire du 16 juillet 1834

61.

AML 342 WP001

62.

AML, 342 WP 001

63.

ADR S 1361

64.

ADR S1360

65.

ADR S1361

66.

AML 4WP, Délibération du Conseil Municipal de la Guillotière, 12 novembre 1840

67.

ADR S 1361