I.4. A l’aval du pont de la Guillotière, une série d’ouvrages non jointifs près de la Vitriolerie

Alors que le quartier des Brotteaux se dote d’une protection, qu’en est-il de celui de La Guillotière ?

Né au débouché du pont du Rhône à la fin du XIIe siècle, le petit hameau de la Guillotière s’était lentement développé au carrefour des routes desservant le Midi et les pays transalpins, accueillant les Croisés et autres voyageurs de passage. En 1735, l’artère centrale du bourg, la Grande Rue de la Guillotière, était bordée de 130 maisons, et les constructions s’égrenaient le long des chemins bordiers (Cholley, 1925). Comme aux Brotteaux, le reste de la plaine était occupé par de vastes domaines agricoles, les terrains au nord du pont appartenant pour l’essentiel à l’Hôtel-Dieu.

Les choses s’accélèrent dans la première moitié du XIXe siècle : la Guillotière devient un faubourg avec le développement du roulage et des hôtelleries et l’installation des nouvelles industries chimiques et métallurgiques en aval du pont du Rhône, qui trouvent au sud de Lyon de vastes espaces disponibles et bon marché et attirent une population ouvrière de plus en plus nombreuse. La commune connaît alors un développement très rapide, et voit sa population tripler en quinze ans, passant de 7 000 habitants en 1815 à 20 000 en 1830, puis 30 000 en 1846.

Sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, les constructions se multiplient de part et d’autre du pont, à mesure que l’on remblaie les délaissés du Rhône pour ouvrir de nouvelles rues. Les opérations de remblaiement s’amplifient après l’inondation de 1825. En 1825-1826, une lône au sud de la future place du pont, à l’emplacement du cours de la Liberté actuel, est comblée à frais communs par la commune de La Guillotière et le principal propriétaire des terrains alentour, André Combalot (R. Curtet, 1999). Suite à la crue de 1825, la commune de la Guillotière achète à l’Etat les îles et la lône enjambées jusque-là par le pont de la Guillotière, et remblaie cet espace en recouvrant les cinq premières arches de l’ouvrage, afin de créer le cours des Brosses et la place du Pont (ibid ; Cholley, 1925). Dans le même temps, Combalot fait construire une première digue au sud du pont, arasée à 5 m au-dessus de l’étiage pour protéger les constructions de la rue Basse Combalot, tandis que l’Ingénieur du département du Rhône Cavenne pose les bases d’un nouveau quartier juste à l’aval (Pelletier, 2002b).

D’abord édifiée sans autorisation, la digue Combalot, dite aussi digue Béchevelin, est prolongée vers le sud en 1828 pour barrer la lône de la Vitriolerie, dans le triple but de protéger la Guillotière des corrosions du Rhône, de reporter les eaux sur la rive droite afin de garantir l’évacuation des égouts de la ville qui trouvent là leur débouché, et de resserrer le lit du fleuve pour améliorer les conditions de navigation en assurant un mouillage suffisant68. Selon le projet initial, l’ouvrage consiste en une digue rectiligne large de 6 m en crête et couronnée à 6 m au-dessus de l’étiage. Elle doit être réalisée en trois parties dans le prolongement de la digue Combalot, en aval du bas-port du pont de la Guillotière : deux tronçons de 120 m et 220 m de long de part et d’autre de l’entrée de la lône, reliés ensuite par une troisième section qui ferme l’entrée du bras secondaire. Pour contribuer à approfondir le chenal et à canaliser les eaux, les matériaux destinés aux remblais sont extraits dans les bancs de gravier en avant de l’ouvrage, là-même où la ville de Lyon emprunte d’importants volumes pour remblayer la Presqu’Ile Perrache. Nous n’avons pas trouvé d’indices permettant de dire si ces extractions ont eu ou non un effet sur le niveau des fonds.

Mais, si les deux premiers pans de l’ouvrage sont achevés en 1830, la suite des travaux est ralentie par la tendance de plus en plus marquée du fleuve à délaisser son tracé de rive droite, où les atterrissements augmentent en dépit des extractions, et à approfondir la lône de la Vitriolerie : profond de 1,2 m sous l’étiage en 1828, le talweg atteint 2,65 m cinq ans plus tard69. Craignant une fois de plus un changement de tracé du fleuve, les Ponts-et-Chaussées modifient le projet initial en 1833, en édifiant un barrage insubmersible à l’entrée de la lône et en prolongeant la digue jusqu’à la Vitriolerie, au-delà du futur viaduc de chemin de fer. Approuvés le 25 août 1833, les travaux qui s’achèvent en 1840 ont coûté 365 925 francs (Pelletier, 2002b).

Afin de promouvoir le développement de sa commune et d’accroître ainsi les revenus de la municipalité, Henri Vitton, maire de la Guillotière, multiplie les travaux de voirie pour favoriser l’extension du faubourg entre les quartiers des Brotteaux et de la Guillotière, dans le quartier de la Part-Dieu. Le cours Bourbon (actuel cours de la Liberté) est prolongé pour relier la place Louis XVI à la place du Pont, et un axe transversal allant du Rhône à Villeurbanne est achevé en 1829 dans l’alignement du nouveau pont Charles X, à l’emplacement du cours Lafayette actuel. Conçue après l’inondation de 1825, cette voie transversale a été remblayée au-dessus du niveau des eaux de 1812 afin de faire office de digue et de garantir le nouveau quartier contre les débordements du Rhône provenant de l’amont. L’effet de barrage produit par le cours Lafayette sera d’ailleurs déploré par le préfet de l’Isère suite à l’inondation de 1856. Celui-ci accusera l’ouvrage d’avoir exhaussé le niveau des eaux à hauteur de la Doua (Bravard, 1985). Côté Rhône, la rive est protégée des corrosions par la digue de l’Hôpital, épi submersible de 200 m construit au XVIIIe siècle par les Hospices afin d’abriter le port aux pierres et le port aux bois. Par la suite, l’édification d’un quai ne se fera pas sans difficulté car il faudra déplacer les ateliers des tailleurs de pierre et indemniser les propriétaires des maisons riveraines (Pelletier, 2002b).

Notes
68.

ADR S1362, rapport des Ponts et Chaussées sur l’achèvement de la digue de la Vitrolerie, 25 mars 1833

69.

ADR S1362, rapport des Ponts et Chaussées sur l’achèvement de la digue de la Vitrolerie, 25 mars 1833