II.4.c. L’amorce d’un endiguement complet de la rive gauche

La digue en terre des Brotteaux est reconstruite à l’identique. Pourtant, il est déjà évident que le rétrécissement du champ d’expansion des crues causé par l’endiguement de la rive gauche augmente les risques en exhaussant le niveau des eaux pour un débit de crue égal. En plus de cela, la digue des Brotteaux n’est pas de nature à résister plus de quelques heures à la pression exercée par les eaux : elle a été construite en terre légère et sablonneuse, des emprunts larges et profonds creusés juste en arrière au moment de sa construction en fragilisent la stabilité, et seule une partie de son linéaire est protégée par un revêtement en perré.

Malgré l’hypothèque que ces différents facteurs font peser sur la fiabilité de l’ouvrage, on se contente de colmater les deux brèches du Grand Camp et d’apporter quelques améliorations prévues dans le projet initial, mais qui n’avaient en fait pas encore été réalisées. Suite à une plainte d’un propriétaire vaudais sur les terrains duquel l’inondation de 1840 a été aggravée par l’obstacle que forme la digue à l’écoulement naturel des eaux, on entreprend de ménager un aqueduc sous la levée. Le plaignant est quant à lui indemnisé par l’Etat. Par ailleurs, on reconnait qu’il est nécessaire de raccorder la digue aux Balmes viennoises pour fermer l’endiguement vers l’amont, en achevant la dernière partie de l’ouvrage qui n’avait en fait pas encore été réalisée. Nous n’avons pas pu retrouver les détails de cette affaire, ni connaître quelle était la longueur de la lacune en question ou quelles furent les conséquences de cette incomplétude lors de la crue ; nous savons seulement que les travaux d’achèvement ont été approuvés par la décision ministérielle du 4 mai 184294 et réalisés la même année pour un montant de 12 000 francs. Au vu de la faiblesse de la somme comparée au coût du reste de l’ouvrage (2,4 millions de francs), on peut imaginer que la section concernée était peu importante.

Par la suite, on exhausse la digue en 1850 pour lui donner une revanche de 60 cm sur le niveau de la crue du 26 novembre 1849, ce qui laisse à penser que cet événement avait une nouvelle fois failli dépasser le couronnement de l’ouvrage. On en profite pour généraliser le perré protégeant le pied de la digue à toute la section allant de la ferme de la Doua au quai d’Albret95.

Lors de la crue des 21 et 22 août 1852, la digue en terre cède à nouveau sur près de 27 m de long au niveau du tronçon longeant le Grand Camp, l’ensemble de cette section se trouvant par ailleurs menacée en plusieurs autres points. On ménage alors une ouverture temporaire à l’extrémité aval de l’ouvrage pour faire s’écouler les eaux qui avaient fait irruption par la brèche. Nous n’avons pas trouvé plus de détails sur cette inondation ni sur les éventuels dommages qu’elle causa, ce qui laisse penser que les dégâts furent relativement peu importants. D’abord réparée à l’identique, cette section de l’ouvrage est ensuite renforcée sur un peu moins de 2 km - soit la totalité du tronçon reconstruit par l’armée en 1839 - par un élargissement pratiqué au moyen d’une banquette de 2 mètres de large et 4 m de haut, établie à 1,5 m en-dessous du couronnement de l’ouvrage. Ces travaux de consolidation s’élèvent à 26 500 francs, financés à hauteur d’un tiers par l’Etat, et à parts égales par les communes de Lyon et de Villeurbanne96.

Pour renforcer la protection de la rive gauche à moindre frais, on profite de l’édification de nouvelles fortifications pour doubler la digue des Brotteaux par un deuxième ouvrage insubmersible. Le boulevard militaire devant relier la ligne des forts selon un arc de cercle allant de la redoute du Haut-Rhône au fort du Colombier, près de la vitriolerie, en passant par les Brotteaux et la Part-Dieu, est ainsi pensé comme une digue promenade édifiée à 50 cm au-dessus du niveau de la crue de 1840. Il est probable que l’armée y vit un moyen de compenser les conséquences fâcheuses dues au déplacement du tronçon de la digue des Brotteaux qui avait fragilisé la digue. Le canal destiné à jouer le rôle de fossé au pied des fortifications avait déjà été creusé de 1835 à 1840. Les travaux du chemin de ronde s’étalent quant à eux de 1841 à 1844.

Dans la décennie qui suit la crue extraordinaire de 1840, la protection de la rive gauche est renforcée par une série d’exhaussements, et surtout par l’édification de nouvelles portions de quais-digues à mesure que l’urbanisation s’étend et se densifie.

En 1844, le quai d’Albret est surélevé de 50 cm, son couronnement passant de 5,2 à 5,7 m au-dessus de l’étiage conventionnel, soit 13 cm au-dessus du maximum de 1840 au pont Morand. En 1846, on décide de prolonger l’endiguement vers le sud en construisant un quai entre le pont Morand et le pont Lafayette. Achevé en 1850, le quai de Castellane, qui correspond à la partie nord du cours Bourbon (cours de la Liberté actuel) est couronné à 6 m au-dessus de l’étiage.

Après réparation en urgence de la brèche de la digue Combalot, cette portion amont de la digue de la Vitriolerie est modifiée selon les mêmes caractéristiques que le reste de l’ouvrage : elle est élargie à 6 m en crête et exhaussée pour obtenir une revanche de 60 cm sur le niveau de 1840. Quelques années plus tard, en 1847 et 1848, l’ouvrage est prolongé à l’aval de l’exutoire de la lône Béchevelin, mais il est élevé à une moindre hauteur. Conçue avant tout pour faciliter le halage, la nouvelle section est ainsi bâtie à 5,3 m au-dessus de l’étiage, le long du fort de la Vitriolerie alors en construction. Afin d’assurer la continuité du halage et le service du fort tout en maintenant l’exutoire de la lône, nécessaire au trafic des chantiers navals établis en bordure intérieure du faux bras, les deux ouvrages sont reliés par un pont « américain »97.

En 1850, la rive gauche est donc enfin dotée d’un endiguement presque complet jusqu’à l’aval de la ville. De la redoute du Haut-Rhône au fort de la Vitriolerie, tous les quais sont couronnés au-dessus du niveau de la crue de 1840, et l’on pense qu’ils sont désormais insubmersibles. Seule la portion de berge située entre le pont Lafayette et celui de la Guillotière n’est toujours pas protégée. La construction d’un quai y était déjà pourtant décidée, mais la ville devait pour cela exproprier les propriétaires, ce qui relevait des compétences de l’Etat, et les choses ne furent pas poussées plus avant. Cette portion de la berge étant relativement bâtie, y entreprendre un quai supposait de déplacer les constructions établies au droit des ports abrités par la digue basse de l’Hôpital, et impliquait donc de coûteuses indemnisations à verser aux propriétaires. A l’exception de la berge elle-même, cette portion de la rive gauche resta donc peu bâtie tant qu’elle ne fut pas protégée des incursions du fleuve. Cette lacune demeura jusqu’à l’édification du quai Joinville et à la reprise de l’ensemble des quais, après le désastre de 1856.

Notes
94.

ADR S1361

95.

ADR S1361

96.

ADR S1361

97.

ADR S1362