III.1.a. Une première crue du Rhône et de la Saône du 15 au 24 mai qui inonde la Presqu’Ile

Le 11 mai, la Saône, déjà grossie depuis plusieurs jours par les précipitations de la fin du mois d’avril, entre en crue. Le 16, la rivière a recouvert les routes de l’Ile-Barbe et de Fontaines ainsi que la totalité du quai de Serin et la plupart des entrepôts de vin et de bois de ce quartier. A Lyon, elle dépasse les 5 mètres au-dessus de l’étiage et commence à refouler par les bouches des égouts en inondant les parties basses des quais, en particulier en rive droite, à l’angle des rues Ecorcheboeuf et du Port du Temple (fig. 31). Face à la montée des eaux des deux fleuves, tirant les leçons de la désorganisation de 1840, la Ville avait anticipé les secours en prévision de l’inondation : l’éclairage des rues était prévu et des barques mises à la disposition des sous-inspecteurs et des cantonniers pour secourir les habitants. En tout, quatre-vingts hommes étaient assignés à différents postes de la ville. Le lendemain, alors que le Rhône déborde à son tour, les eaux de la Saône continuent leur ascension et la crue prend des « proportions vraiment alarmantes » qui font craindre « le retour des catastrophes de 1840 » 98 . Le 17 au matin en effet, la rivière a déjà envahi la rue Roquette et la rue du Mont d’Or à Vaise, la circulation est interrompue sur le quai de Serin. A Lyon, l’inondation touche déjà les parties basses de Saint-Jean et de la Presqu’Ile : tout le quai de la Baleine et les rues basses adjacentes, les quais Saint-Antoine, des Célestins et les rues attenantes jusqu’à la place de la Préfecture, ainsi qu’une partie de la rue Saint-Dominique (Emile Zola actuelle) en rive gauche. A 20 heures, la partie la plus élevée du quai Saint-Antoine, épargnée jusque-là, est noyée : la totalité de ce quai, d’ordinaire très fréquenté, est recouverte par une nappe d’eau d’où n’émergent plus que les rangées de platanes et la crête du parapet bordant la promenade du côté de la rivière ; les eaux ont pénétré jusqu’au théâtre des Célestins. Au cours de la journée, la circulation a été complètement interrompue sur tout le linéaire des quais anciens en aval du pont de Nemours. Seuls les quais-digues les plus récents situés à l’amont de la ville, plus élevés que les autres, sont hors d’eau, à savoir les quais de Bourgneuf et de la Feuillée en rive droite (actuels quais Pierre-Scize et de Bondy), et ceux des Augustins et d’Orléans (rebaptisés depuis quais Saint-Vincent et de la Pêcherie) en rive gauche.

Parallèlement, le Rhône a envahi les quais de la rive droite en un grand nombre de points à partir des exutoires d’égouts et des rampes d’abreuvoirs, si bien que la circulation se trouve interrompue sur toute la longueur du quai de Retz. Inondée à partir des égouts des rues Claudia et Stella, la place des Cordeliers est « transformée en étang » 99 . On commence à craindre pour la stabilité de la digue de la Tête d’Or, en rive gauche, mais le Rhône baisse rapidement après avoir atteint son maximum le 18 au soir (4,45 m au pont Morand) et regagne son lit quelques heures plus tard. Le fleuve n’inquiètera plus les lyonnais avant la fin du mois.

Par contre, la Saône continue de monter jusqu’au 21 mai. Le 18, la crue a presque atteint son niveau maximum, cotant 6,75 m au pont La Feuillée. Les eaux progressent dans la ville : à Vaise, l’inondation est complète jusqu’à la route de Bourgogne et dans la Presqu’Ile - on navigue en barque sur toute l’étendue de la place de la Préfecture -, tandis que le quartier de Perrache est touché à son tour. C’est à ce moment que l’administration municipale intervient pour tenter d’enrayer la progression des eaux, en utilisant pour la première fois l’égout de ceinture, alors en cours de construction, comme un moyen de protection contre les inondations. Abandonnant la logique des égouts transversaux qui prévalait jusque-là, l’Ingénieur en Chef Bonnet a fait réaliser en rive gauche de la Saône un grand égout longitudinal collectant les eaux des réseaux adjacents et déversant l’ensemble des effluents à l’aval de la ville. Ainsi, alors que la Saône commence à gagner la rue Centrale (actuelle rue de Brest), Bonnet fait barrer la rue attenante par laquelle les eaux se propagent, et rapidement, l’eau qui recouvrait la rue Centrale s’évacue complètement par les bouches jusqu’au grand égout collecteur. Face à une telle efficacité, le système sera ensuite généralisé, nous y reviendrons bientôt100. Atteignant 6,93 m le 21, la rivière amorce lentement sa décrue : elle est encore à 6,40 m le 24 mai, puis la baisse s’accélère jusqu’au 29 mai, date à laquelle les flots sont redescendus à 4,20 m.

Fig. 31. L’inondation de la Saône et du Rhône en 1856.
Fig. 31. L’inondation de la Saône et du Rhône en 1856.

Notes
98.

AML925WP227, Rapport de l’ingénieur en chef Bonnet sur les inondations du Rhône et de la Saône pendant le mois de mai 1856 et sur les travaux à exécuter pour protéger la ville de Lyon contre les crues des deux rivières

99.

AML925WP227, Rapport de l’ingénieur en chef Bonnet sur les inondations du Rhône et de la Saône pendant le mois de mai 1856 et sur les travaux à exécuter pour protéger la ville de Lyon contre les crues des deux rivières

100.

Chap. 4 de cette même partie, point II. 2.