Des services de barques sont organisés pour rétablir les communications là où les routes sont inondées, et des passages sont mis en place pour la circulation des piétons. La circulation est rétablie quai Saint-Antoine grâce à la mise en service des égouts et à l’édification d’un batardeau le long de la rivière.
Pour pallier l’interruption de l’éclairage public là où les canalisations de gaz ont été inondées, les propriétaires ont l’obligation d’éclairer leurs façades, tandis que l’administration met en place un système d’éclairage au moyen de torches et de lampions sur les quais, les promenades, les places publiques et tous les points considérés comme dangereux. Les édiles craignent en effet des atteintes à l’ordre public et sont soucieux de favoriser le maintien de l’ordre et de la sécurité.
Après le passage de la crue, l’Administration encadre le retour à la normale. L’Ingénieur en Chef Bonnet dirige les opérations et fait nettoyer et désinfecter les rues, les rez-de-chaussée, les caves, les cours des maisons, pomper l’eau des fosses d’aisance et renouveler à plusieurs reprises l’eau des puits. Sur les rives de la Saône et en Presqu’Ile, les traces de l’inondation ont disparu en quelques jours. Les débris et le limon déposés par la crue ont été évacués et reversés dans la rivière, en particulier au niveau du quai Saint-Antoine. Le 5 juillet, les travaux de déblaiement ont pris une telle ampleur que les riverains se plaignent de l’obstruction du port Saint-Antoine auquel les bateaux ne peuvent plus accéder. Cependant, certains points bas restent inondés pendant plusieurs semaines : le 24 juin, deux énormes mares persistent à Vaise de part et d’autre de la rue de la Claire, aux abords de la gare de chemin de fer.
En revanche, l’évacuation des eaux prendra bien plus de temps sur la rive gauche du Rhône, à la Guillotière et aux Brotteaux, d’altitude plus basse que la rive droite, où l’inondation a atteint un niveau très élevé et où les remblais partiellement réalisés ont en fait aggravé l’impact de l’inondation en piégeant les eaux et en empêchant leur vidange (photo 9). En effet, dans ce qui est devenu le troisième arrondissement de la ville depuis 1852, on a amorcé le remblaiement de presque toutes les rues et, bien qu’elles n’aient pas encore toutes été élevées à leur niveau définitif, loin s’en faut, elles sont néanmoins suffisamment surélevées par rapport aux parcelles qu’elles délimitent pour créer des points bas desquels l’eau ne peut être évacuée. En plus de cela, l’inondation des quartiers intramuros est constamment alimentée par le déversement des eaux du fossé des fortifications, que l’armée refuse d’assécher malgré les demandes incessantes de la population riveraine les jours suivant la crue. Ainsi le quartier de la Villette est toujours isolé une semaine après le passage de la crue. Comme le déplorent les habitants, le quartier est transformé en « un vrai lac » 109 , il continue à être inondé par l’écoulement des terrains situés à l’amont et ne peut être drainé par la Rize car cette dernière est obstruée en de nombreux endroits. Le 10 juin, le « service de dépêchement » des Brotteaux déplore que les travaux d’écoulement de la rive gauche entre le cours Morand et le cours Lafayette soient toujours paralysés par le déversement continuel de l’eau des fossés d’enceinte à partir de la brèche formée par la crue.
(source : AML 3PH00612, photographie de L. Froissard).
Une des préoccupations les plus urgentes qui anime les autorités est d’assainir les eaux stagnantes : sous l’effet de la forte chaleur de juin, les détritus se décomposent dans les bas-fonds qui ne peuvent être vidés, et l’on craint le développement d’épidémies. Cette crainte n’est pas que la manifestation du courant hygiéniste de l’époque, mais le reflet d’une réalité : les épidémies de dysenterie due à la pollution de l’eau des puits étaient jusque-là fréquentes après chaque grande inondation. Le 9 juin, le Conseil d’Hygiène publique et de Salubrité de la Ville de Lyon visite les quartiers inondés de la rive gauche. Dans son rapport adressé au Préfet et Sénateur Vaïsse le 18 juin 1856, il distingue la situation de la campagne, à l’extérieur du mur d’enceinte, de celle, bien plus préoccupante à ses yeux du point de vue de la salubrité, de la ville intramuros 110. A la Guillotière et aux Brotteaux, on s’inquiète en effet des risques d’épidémies suite au dépôt de déchets putrescibles dans la plaine et à la pollution des puits : « les deux côtés du cours Lafayette en contrebas de la chaussée sont remplis d’une eau verdâtre, putride dont les exhalaisons sont certainement malsaines » 111 . L’eau a en particulier inondé et fait déborder les fosses d’aisance, emporté les déchets des industries, notamment les triperies ; par contre, remarquons qu’on ne se soucie pas le moins du monde des déchets toxiques des industries. Le limon et les déchets déposés par la crue ont d’abord été désinfectés au sulfate de fer ou au chlorure de chaux avant de pouvoir être enlevés et rejetés au Rhône.
Pour accélérer le ressuyage de la plaine, l’administration municipale a mobilisé « une armée de travailleurs tant civils que militaires » 112, dirigée par l’Ingénieur en Chef Bonnet qui fait creuser plusieurs tranchées destinées à drainer les eaux jusqu’au fleuve. Dans le même but, on élargit le ruisseau de la Rize, obstrué dans les décennies précédentes, et les voûtes de tous les égouts existants sont percées pour faciliter l’évacuation des eaux.
Dans un premier temps, on commence par rétablir la circulation en dégageant les rues. On s’emploie ensuite à évacuer « les lacs circonscrits par les rues » 113. Pour ce faire, 1 200 ouvriers civils et militaires travaillent nuit et jour à densifier le réseau de canaux amorcé dans les premiers jours et construire des ponts provisoires pour franchir les fossés. Le 18 juin, le gros de la plaine est asséché, mais les eaux demeurent dans les points bas. Il faudra douze jours complets pour réaliser l’ensemble, et plus de vingt jours pour élargir le chenal de la Rize. En tout, plus de 20 000 m de tranchées seront réalisés, certaines dépassant les quatre mètres de profondeur. Enfin, les caves et les points situés en contrebas des fossés de dessèchement sont évacués à main d’homme.
Après le ressuyage de la crue, les habitants doivent évacuer l’eau demeurant dans les cours des maisons et les fosses d’aisance, enlever le limon déposé par la crue et désinfecter les sols, vider les caves, curer les puits et en renouveler l’eau, ventiler et chauffer les maisons pour accélérer la dessication des murs. Les autorités interviennent pour accélérer le déblaiement des décombres, en obligeant les propriétaires -qui pour la plupart n’habitent pas les quartiers dévastés mais y possèdent des immeubles de rapport édifiés à bas pris et loués à la population ouvrière - à faire évacuer leurs parcelles.
Les travaux d’assèchement ont coûté 120 000 francs. Finalement, les autorités n’eurent aucune épidémie à déplorer, et l’ingénieur Bonnet se réjouit même du « grand nettoyage » 114 qu’a permis l’inondation, en supprimant de nombreux foyers d’infection.
Voyons à présent quels furent les dommages occasionnés par la crue.
AML 925WP227, pétition d’un habitant adressée au Sénateur du Rhône le 7 juin 1856
AML925WP227
AML925WP227, Rapport du Conseil d’Hygiène publique et de Salubrité de la Ville de Lyon, 18 juin 1856
AML925WP227, Rapport du Conseil d’Hygiène publique et de Salubrité de la Ville de Lyon, 18 juin 1856
AML925WP227, Rapport de l’ingénieur en chef Bonnet sur les inondations du Rhône et de la Saône pendant le mois de mai 1856 et sur les travaux à exécuter pour protéger la ville de Lyon contre les crues des deux rivières
AML925WP227, Rapport de l’ingénieur en chef Bonnet sur les inondations du Rhône et de la Saône pendant le mois de mai 1856 et sur les travaux à exécuter pour protéger la ville de Lyon contre les crues des deux rivières