Lyon fut la ville du Rhône la plus touchée par le désastre de 1856. Les dégâts matériels furent estimés à 7 millions de nouveaux francs, et la population fut fortement marquée par la catastrophe.
Les destructions ont été peu importantes sur la Saône et en Presqu’Ile, mis à part à Perrache où certaines constructions de pisé se sont écroulées. Le long des berges de la rivière, des terrains se sont effondrés et des murs se sont éboulés. La faiblesse des pertes immobilières s’explique par l’application stricte des nouveaux règlements de voirie dans les quartiers les plus sinistrés en 1840 : plus aucune construction en terre n’est autorisée depuis lors, et les bâtiments en maçonnerie de brique ou de pierre ont bien résisté. Par contre, le bilan de la rive gauche du Rhône, qui s’est rapidement couverte de bâtiments bon marché élevés à la hâte après 1840, est considérable, en particulier dans le secteur intramuros où la double ligne de protection avait enfin fait croire à une protection efficace et attiré les fabriques et la population ouvrière. Les dégâts ont été d’autant plus importants que la rupture des ouvrages a provoqué de violents courants à la course dévastatrice. La survenue d’une telle catastrophe – et qui plus est en plein milieu de la nuit pour ce qui est de la rupture de la digue des Brotteaux, alors que la population était endormie - a causé la mort de 18 personnes.
En dehors des fossés d’enceinte, l’ensemble des récoltes est ravagé : la submersion des prés et des blés non fauchés entraîne le pourrissement sur pied des cultures, asphyxiées par la vase. Les autorités imposent que les récoltes soient fauchées, séchées puis enterrées. A Villeurbanne, 223 maisons se sont écroulées.
Selon les observations des Ponts-et-Chaussées, à la décrue, les quais furent relativement peu endommagés, à l’exception de la digue en terre des Brotteaux et du chemin des fortifications. Au niveau de la rupture par renard survenue dans la nuit du 30 au 31 mai, le courant a formé une brèche de 70 mètres de long et 9,6 mètres de haut (au pied de la digue, le courant a profondément affouillé le terrain). Après la submersion, deux brèches secondaires de 15 à 20 m de large et 1 à 2 m de haut se sont créées dans la partie amont de l’ouvrage, près du chemin de Vaulx aux Charpennes115. Ces avaries ont été réparées par le Service Spécial du Rhône des Ponts-et-Chaussées immédiatement après la crue. A l’aval de la ligne de quai, la crête de l’extrémité de la digue de la Vitriolerie, submergée comme on l’a vu par un courant violent provenant de la plaine, a été érodée sur 1050 m en aval du pied de la rampe d’accès au pont américain. En rive droite, le perré du quai de la Charité, déjà en mauvais état avant l’événement, a été affouillé sur 250 m en aval de la place de la Charité, et doit être rechargé. A proximité des brèches, les phénomènes d’érosion et de dépôt ont emporté les terres ou les ont recouvertes de sable ou de gravier.
Dans la ville intramuros, 335 maisons ont été complètement détruites, 448 l’ont été partiellement. Au total, 1185 bâtiments ont été complètement ou gravement endommagés à Lyon et Villeurbanne, les deux tiers se trouvant intramuros, en arrière du chemin de ronde, et 200 autres nécessitent d’importantes réparations. Les destructions ont touché des habitations, des fabriques et des hangars (photos 10 et 11).
Pendant plusieurs jours, un grand nombre de familles se sont retrouvées sans abri et ont du bivouaquer sur les places publiques ou dans des établissements publics et privés, loués par la ville ou mis à disposition par des particuliers. Par ailleurs, la destruction d’un grand nombre de fabriques mit une grande partie des ouvriers au chômage ; ils bénéficièrent de l’assistance de la ville pendant les premiers jours, le temps de mettre en place des établissements provisoires ou de reconstruire les bâtiments d’origine. 116 familles restées dans le quartier après la catastrophe, soit 482 personnes, ont bénéficié des secours de première nécessité que Lyon apporte aux indigents sous forme de distribution de pain, de vêtements, de couvertures et de possibilité de relogement116.
Comme le souligne le service de la voirie de Lyon: « il est certain que si les règlements de voirie relatifs aux constructions en pisé promulgués à la suite des inondations de 1840 eussent été appliqués dans le troisième arrondissement comme ils l'ont été à Vaise et à la Croix-Rousse, on n’aurait pas eu à déplorer la vingtième partie du sinistre. [...] presque toutes les maisons écroulées étaient en pisé et de construction postérieure à 1840 » 117 . Un certain nombre de maisons plus anciennes avaient déjà été atteintes et dégradées en 1840 et ont été détruites par la crue de 1856 « parce que les propriétaires avaient eu l’incurie de faire des reprises suffisantes, ou même de reconstruire en pisé les portions de murs écroulés » 118 .Mis à part quatre à cinq maisons emportées par le courant, l’essentiel des destructions correspond donc à des bâtiments à un étage dont les murs, édifiés en pisé de terre, ont été délayés par l’eau et se sont affaissés sous le poids des constructions. Si le pisé mâchefer a généralement mieux résisté, il était souvent de médiocre qualité, mélangé à de la terre, et a lui aussi été fortement altéré. Les constructions en pierre, en brique ou en passes de bois ont quant à elles tenu.
Pour cette raison, et à la demande des habitants sinistrés, le premier acte de l’administration est donc d’étendre au quartier de Perrache et au troisième arrondissement l’interdiction d’élever des constructions en pisé, qui était déjà effective dans le reste de la ville depuis l’inondation de 1840, en particulier à Vaise et à Serin. Dès lors, pour contrôler la bonne application du règlement, toute nouvelle construction doit faire l’objet d’une déclaration préalable, accompagnée d’un plan signé de l’architecte en charge des travaux. Dans une lettre adressée au Sénateur Vaïsse le 12 juin 1856, le Voyer en chef Rego préconise d’étendre l’interdiction à Villeurbanne et Vaulx-en-Velin pour toute la partie située au nord de la Balme viennoise119. « On prend donc espoir que le retour d’un événement pareil à celui du 31 mai est désormais impossible » 120.
Le tableau 7 synthétise le montant des dommages recensés dans le département du Rhône par le Préfet Vaïsse. La somme des dégâts enregistrés dans l’ensemble du bassin du Rhône se monte à près de 50 millions de francs, dont 32 millions pour les récoltes, 10 millions pour les centres urbains, 4 millions pour la réparation des digues (Pardé, 1925). Le département du Rhône a donc enregistré plus du cinquième des pertes totales, et Lyon, avec 7 millions de pertes, fut de loin la ville la plus touchée par la catastrophe.
Montant de l’ensemble des dommages (M f) | Montant des dommages susceptibles de faire l'objet d'un secours (M f) | % des dommages susceptibles de faire l'objet d'un secours l’objet d’un secours | Montant des allocations à disposition du Préfet du Rhône pour les secours (M f) | Part des secours finalement alloués par rapport à l'ensemble des pertes | Part des secours alloués par rapport aux pertes susceptibles d’être concernées par l'attribution des secours | |
en capital | 3,82 | 2,02 | 52,8 | - | - | - |
objets mobiliers | 3,73 | 2,56 | 68,7 | - | - | - |
récoltes et propriétés détériorées | 3,22 | 1,95 | 60,5 | - | - | - |
TOTAL | 10,77 | 6,53 | 60,6 | 1 325 800 | 12,3 | 20,3 |
(source : AML 925 WP 227)
(source : AML 3PH00593, photographie de L. Froisard).
On distingue au fond à droite la caserne de la Part-Dieu, à l’emplacement de la gare SNCF actuelle
(source : AML 3PH00598, photographie de L. Froissard)
ADR S1367-1370
AML 925 WP 227, compte final des répartitions aux inondés de 1856 dans le département du Rhône, dressé par le Préfet du Rhône Vaïsse
AML 925 WP 287, dossier 4, Rapport à Monsieur l’ingénieur en chef du Service Municipal, service de la voirie, 20 juin 1856
AML 925 WP 287, dossier 4, Rapport à Monsieur l’ingénieur en chef du Service Municipal, service de la voirie, 20 juin 1856
AML 925WP227
AML925WP227, Rapport de l’ingénieur en chef Bonnet sur les inondations du Rhône et de la Saône pendant le mois de mai 1856 et sur les travaux à exécuter pour protéger la ville de Lyon contre les crues des deux rivières