II.1. La disqualification de la digue en terre des Brotteaux. Edification d’une digue et d’un quai maçonnés : la digue « insubmersible » des Brotteaux et le quai de la Tête d’Or

L’exhaussement continuel du niveau des eaux par l’effet du resserrement du lit majeur par le linéaire des endiguements, et probablement aussi par effet de l’exhaussement du fond du lit, a fait que la digue des Brotteaux, d’abord élevée à 60 cm au-dessus des plus hautes eaux de 1812, puis plusieurs fois renforcée, a été submergée par les eaux à chaque grande crue(de 20 à 45 cm en 1856)126.

En mars 1856, un premier projet d’exhaussement, de consolidation et de rectification de l’ouvrage avait été élaboré. Pour libérer les terrains sur lesquels la ville projetait l’aménagement du parc de la Tête d’Or, la partie de l’ouvrage située en aval du viaduc de chemin de fer de Lyon à Genève devait être remplacée par un quai longeant le cours du Rhône, en arrière de la digue basse de la Tête d’Or. Par souci d’économie, la partie amont devait simplement être exhaussée sans rectification de tracé, au grand regret des ingénieurs du service du Rhône, conscients de la fragilisation apportée par le « tracé vicieux » 127 de l’ouvrage.

L’inondation du mois de mai modifie complètement la donne, puisque les édiles sont à présents prêts à payer le prix d’une réelle protection. Il est donc décidé de reconstruire un nouvel ouvrage insubmersible possédant une revanche d’au moins 1 m sur le niveau de la crue du mois de mai, cette fois non pas en terre sablonneuse mais en gravier solidement compacté, rendu imperméable du côté du fleuve par un perré maçonné revêtant le talus incliné à 45°. Les ingénieurs de la Ville et du service du Rhône sont favorables à la création d’une digue plus large et carrossable, afin de mieux pouvoir en assurer la surveillance et la recharge en cas de forte inondation. Lors de l’événement de 1856, toutes les routes étaient coupées par les eaux, et il fut impossible d’acheminer des secours suffisants pour colmater la brèche de la digue des Brotteaux. D’une manière générale, l’ingénieur en chef de la Ville insiste d’ailleurs sur la nécessité de maintenir les communications en cas de crue pour assurer la bonne organisation des secours. C’est aussi la raison pour laquelle les remblais des rues des Brotteaux sont activement poussés.

Conformément au projet de mars 1856, l’endiguement, d’une longueur totale de près de 6,5 km, est conçu en deux tronçons :

  • En aval du viaduc de chemin de fer, le quai de la Tête d’Or est construit selon le tracé défini quelques mois plus tôt.
  • La section amont correspond quant à elle à une nouvelle digue insubmersible de 4 750 m de long, construite en remplacement de l’ancienne digue en terre, large de 5 m en couronne, édifiée à 8,24 m au-dessus de l’étiage et possédant une revanche de 1 m au-dessus du niveau de la crue de 1856. Pour tenir compte de l’exhaussement du niveau des eaux apporté par le quai de la Tête d’Or, qui resserre le lit du Rhône par rapport à la disposition précédente, une banquette de 50 cm supplémentaires est prévue au sommet de la digue. L’élévation du plan d’eau due au nouvel endiguement serait au maximum de 40 cm selon les calculs des ingénieurs du Service Spécial du Rhône, qui ont privilégié une estimation haute. La digue conserve donc bien la revanche souhaitée de 1 m sur le niveau de la crue de 1856. Mais il faut rappeler l’effet de la rupture des digues, sans laquelle le niveau du plan d’eau aurait été supérieur de 15 cm, selon les estimations de M. Pardé (1925) ; la revanche de la digue des Brotteaux sur le niveau de 1856 n’est donc pas de 1 m mais de 85 cm. Enfin, l’ouvrage est protégé des incursions du Rhône par la rectification du perré du Grand Camp.

La dépense totale s’élève à 2,5 millions de francs, et est pour l’essentiel prise en charge par la Ville et l’Etat, respectivement à hauteur de 40 % et 45 %. Les 15 % restants incombent à parts égales à la Compagnie de Chemin de fer de Genève et aux Hospices Civils de Lyon. La contribution financière des premiers est sollicitée en compensation du remous créé par le viaduc du chemin de fer, car ce dernier implique de surélever la hauteur de la digue, ce qui a un coût ; celle des seconds est justifiée par la valorisation que le nouveau quai apporte à leurs terrains situés en arrière de l’ouvrage128.

Photo. 12. La partie amont de la rive gauche avant la construction du quai de la Tête d’Or et de la digue des Brotteaux
Photo. 12. La partie amont de la rive gauche avant la construction du quai de la Tête d’Or et de la digue des Brotteaux

(source : AML 3PH00612, cliché de L. Froissard).

Au premier plan à droite se trouve le quai d’Albret, dont la promenade vient d’être récemment plantée ; derrière, le lac du Parc de la Tête d’Or en cours d’aménagement qui correspond à une ancienne lône du Rhône remaniée ; au fond à gauche le viaduc du chemin de fer appelé aujourd’hui viaduc Poincaré.

Notes
126.

ADR S1367

127.

Ibid.

128.

ADR S1367