Dès le moi de juin, l’ingénieur en chef des Ponts-et-Chaussées a été chargé par l’Empereur d’étudier les moyens de protéger définitivement Lyon des inondations du Rhône et de la Saône. Pour calibrer les ouvrages à réaliser, Kleitz a cherché à déterminer la probabilité d’occurrence des catastrophes de 1840 et 1856, du moins la probabilité de voir un jour survenir une crue supérieure aux maxima enregistrés. Sur la Saône, la crue de 1840 a été tellement impressionnante qu’on décide de la prendre pour repère : « des crues qui [seraient supérieures] nous semblent devoir être rangées parmi les événements de force majeure dont on admet la possibilité sans qu’il soit pour cela rationnel de leur opposer à grands frais des moyens préventifs dont l’utilité pourrait ne jamais se réaliser »129. Sur le Rhône en revanche, Kleitz considère qu’une crue plus importante doit être envisagée, étant donné qu’il peut un jour pleuvoir plus qu’en mai 1856 et que la configuration du bassin n’exclut pas une meilleure concordance des maxima du Rhône avec ceux de ses affluents130. De plus, il s’agit de rassurer la population qui pense que le niveau des crues ne cessera d’augmenter, comme elle peut l’observer depuis 1812. Le projet est donc calé sur une crue de la Saône égale à celle de 1840, estimée par les ingénieurs du Service Spécial à 3200 m3/s, et sur une crue du Rhône dépassant de 1m celle de 1856, hauteur pouvant être atteinte, selon Kleitz, par une crue d’un débit maximum instantané dépassant d’un quart celui observé en 1856 (5 200 m3/s selon Kleitz), soit 6 500 m3/s. L’estimation du débit maximum roulé lors des deux événements de référence a depuis été discutée, en particulier par M. Pardé (Pardé, 1925 et 1942), comme nous le verrons plus loin dans la démonstration131.
Néanmoins, l’ingénieur précise d’emblée que « les riverains prudents ne devront pas oublier que des crues supérieures à celles en vue desquels les travaux sont projetés peuvent se produire, qu’une loi inévitable condamne le sol des villes à un exhaussement perpétuel » 132. Il engage ainsi les Lyonnais à anticiper d’éventuels exhaussements ultérieurs en plaçant le niveau des habitations au-dessus du niveau de la chaussée et en donnant la plus grande hauteur possible aux rez-de-chaussée des maisons. D’ailleurs, nombreux sont les immeubles lyonnais qui possèdent un entresol ; on pourrait y voir une certaine forme d’adaptation du bâti au caractère inondable de la ville, bien que ce type d’architecture se retrouve dans d’autres villes qui ne sont pas forcément exposées au risque d’inondation. Un autre type d’adaptation du bâti décelable est que la plupart des immeubles construits dans la deuxième moitié du XIXe siècle ne possède pas de cave du fait de la proximité de la nappe et du risque d’inondation indirecte (B. Faou, 2005).
Plusieurs configurations possibles ont été envisagées pour les travaux de rectification et d’exhaussement des quais, mais dans chaque cas les dispositions vis-à-vis de la réduction du risque restent les mêmes : caler les ouvrages du Rhône à 1m au-dessus du niveau de la crue de 1856, et offrir aux ouvrages de la Saône une revanche de 40 à 90 cm sur la crue de 1840 rectifiée. En fonction des variantes du projet, les coûts sont plus ou moins élevés selon qu’on élargit ou non les quais déjà existants pour y établir des chaussées mieux adaptées à l’importance grandissante du trafic, et selon qu’on exhausse uniquement les trottoirs extérieurs et les promenades ou qu’on étend le remblai à l’ensemble du quai, chaussée comprise. Ce dernier choix, qui semble préférable du point de vue de l’embellissement de la ville et qui est soutenu par l’ensemble des acteurs lyonnais, a des conséquences financières non négligeables, car il implique de reconstruire le trottoir de long des maisons, de repaver les chaussées surélevées et, dans les cas où l’épaisseur du remblai à réaliser est très importante, d’indemniser les propriétaires des immeubles dont les rez-de-chaussée se trouveront en partie enterrés. Pour en permettre l’élaboration, une contribution de la ville plus importante que celle demandée aux autres communes de la vallée du Rhône concernées par l’application de la loi du 28 mai 1858 fut exigée par l’Etat : la moitié au lieu du tiers133.
ADR S1368, Avant-projet sur la défense de Lyon contre les inondations du Rhône et de la Saône, 18 septembre 1856
L’hydrologie des crues des deux cours d’eau sera analysée et discutée dans la partie suivante (part. III, chap. 2)
Cf. partie III, chap.2.
ADR S1368, Avant-projet sur la défense de Lyon contre les inondations du Rhône et de la Saône, 18 septembre 1856
AML 925WP227