III. Le plan Kleitz

III.1. Travaux de défense du Rhône

Sur le Rhône, trois projets sont mis à l’étude134 : le premier consiste en l’aménagement d’un canal de dérivation d’une partie du débit à travers la rive gauche (projet A), les deux autres prévoient chacun l’exhaussement et l’achèvement de l’endiguement du fleuve ainsi que la réalisation d’un égout longitudinal sur la rive droite, débouchant 200 m en aval du viaduc du chemin de fer de la Méditerranée (projets B et C). Dans la version B, la totalité des quais est élargie à 30 m, excepté le quai Saint-Clair de construction récente. Dans la version C, seuls les quais de rive gauche sont élargis, ceux de rive droite conservant leur largeur initiale : 22 m du pont Morand au pont de la Guillotière et 30 m plus à l’aval.

A la demande de la ville et de ses habitants, on choisit finalement de porter la largeur de l’ensemble des quais, y compris celui de Saint-Clair, à 30 m 135. Les quais de la rive droite en amont du pont de la Guillotière seront donc avancés de 8 m dans le fleuve, et soutenus par des murs droits maçonnés, parfois précédés d’un bas-port. Ceux de la rive gauche sont quant à eux soutenus par un perré incliné à 45°, précédé le plus souvent d’un bas-port (photo14). Le long des quartiers déjà bâtis, du pont Morand au pont de la Guillotière, seule la promenade sera élevée pour éviter que les seuils des maisons ne se trouvent en contrebas de la chaussée, car cette situation imposerait d’indemniser les propriétaires riverains pour le préjudice causé, ce que l’Etat refuse. Pour éviter de trop percher la banquette ainsi créée, ce qui est jugé contraire à l’embellissement de la ville, les chaussées seront malgré tout légèrement exhaussées et l’élévation du remblai principal ne sera que de 50 cm, le complément de revanche étant obtenu par la mise en place de parapets pleins fonctionnant comme batardeaux. Enfin, la largeur des quais est portée à 30 m en empiétant sur le fleuve. A l’aval de la Guillotière, aucune de ces contraintes n’est à prendre en compte car la rive est peu bâtie et on pourra directement élever le terre-plein à 1 m au-dessus du niveau du maximum historique sur la largeur souhaitée. Entre les ponts de la Guillotière et le pont du Midi, la digue de la Vitriolerie est remplacée par le quai du Prince Impérial. Dans tous les cas, les remblais sont réalisés avec des graviers du Rhône compactés et revêtus d’un perré. La réalisation complète de l’endiguement commencé en 1859 prendra fin en 1870.

L’étude de la faisabilité d’un canal de dérivation à travers la rive gauche, sur le principe déjà envisagé au XVIIIe siècle, est demandée par l’Empereur, une lettre de commande commandant des recherches sur les moyens destinés à améliorer le régime des fleuves136. Un tel système consistait à déplacer le risque vers l’aval en évitant l’étalement des eaux et en accélérant le passage de l’onde de crue. Il s’agissait en fait de sacrifier les zones où les enjeux sont faibles au profit de la ville. On retrouve ici la logique de bassin versant qui s’affirme sous le Second Empire, de façon complémentaire aux principes énoncés par la loi de 1858 et appliqués à l’amont de Lyon, dans la plaine de Miribel-Jonage. Mais, contrairement à la logique mise en place par cette dernière, il ne s’agit pas ici de favoriser l’étalement des eaux à l’amont des lieux habités pour atténuer la pointe de la crue, mais au contraire d’accélérer l’évacuation des eaux vers l’aval, quitte à y aggraver le risque, pour assurer une plus grande sécurité aux enjeux urbains.

Pour abaisser le niveau des eaux, on envisage d’augmenter le débouché des fleuves par la dérivation d’une partie des eaux dans un canal large de 50 m en moyenne. En dérivant 20 % du débit total de la crue de référence, soit 1 300 m3/s, le canal permettrait d’abaisser de 80 à 90 cm le niveau d’une crue égale à celle de 1856. Deux tracés ont été étudiés par les ingénieurs du Service Spécial du Rhône : l’un longeant le pied des forts, l’autre reculé de 600 m par rapport aux fortifications. Il revient aux autorités militaires de choisir celui qui leur semblera le plus profitable à la défense de la ville137.

La réalisation du projet apporterait donc une défense supplémentaire à Lyon, mais elle ne pourrait en aucun cas se substituer au système combinant l’endiguement insubmersible des fleuves, la construction de grands égouts collecteurs et l’achèvement du remblaiement des rues de Perrache et des Brotteaux. Le coût énorme de la dérivation fait hésiter tant les ingénieurs que les édiles. Etant donné que l’exhaussement des quais doit de toute façon être achevé avant d’entreprendre le creusement du canal (pour ne pas risquer de ruiner l’entreprise en cours de réalisation si une crue se produit avant l’achèvement des travaux), on décide donc de réaliser le reste des projets avant de trancher la question. Un siècle plus tard, le canal de ceinture n’était toujours pas creusé mais restait d’actualité, moins pour la protection contre les crues que pour les besoins de l’industrie et de la navigation138.

Photo 14. Panorama des quais du Rhône.
Photo 14. Panorama des quais du Rhône.

La vue est prise de l’amont vers l’aval. Les quais de la rive gauche sont soutenus par un perré incliné à 45°, tandis que ceux de la rive droite sont soutenus par un mur droit.

Notes
134.

AML 925WP287 ; ADR S1368

135.

AML 925WP287; le quai Saint-Clair sera lui aussi finalement exhaussé. 

136.

Lettre de l’Empereur du 19 juillet 1856 adressée au Ministre de l’Agriculture et des Travaux Publics

137.

ADR S1368, Avant-projet sur la défense de Lyon contre les inondations du Rhône et de la Saône, 18 septembre 1856

138.

Cf. partie IV, chap.2, point II. 2.