III.2. Travaux de défense de la Saône

Sur la Saône, quatre types de mesures furent entreprises139 : la modification des ouvrages contribuant à élever le niveau de la crue, l’exhaussement des quais au-dessus de la cote de la crue de 1840 ainsi rectifiée, l’endiguement du territoire de Vaise et la construction d’un égout longitudinal en rive droite, de Vaise au pont Napoléon140.

En premier lieu, pour augmenter la section d’écoulement de la rivière, on décide de supprimer les principaux obstacles qui rétrécissent le lit de la rivière et contribuent à élever le niveau de la crue :

  • Les ports en gradins, construits en saillie dans la rivière, sont supprimés et remplacés par des bas-ports desservis par des rampes latérales aux quais.
  • On décide le dérasement des roches du rapide de la Mort-qui-Trompe, au niveau du pont de Nemours (appelé souvent encore pont du Change), jusqu’à 2,5 m sous le niveau de l’étiage conventionnel (photo 15). Une partie des travaux avait déjà été réalisée après la crue de 1840, mais le pont avait été reconstruit sans que le déroctage ait été fait en ce point. L’entreprise, réalisée de 1859 à 1861, fut compliquée par la survenue de plusieurs crues de la Saône pendant la période des travaux qui occasionnèrent une dépense supplémentaire de 200 000 f.
  • Pour améliorer le débouché des ponts Tilsitt et d’Ainay, on reconstruit ces derniers avec des arches plus larges.

Ces mesures de rectification viennent compléter les travaux réalisés suite à l’inondation de 1840 et permettent ainsi d’abaisser le niveau des crues. Les longs calculs réalisés par Kleitz montrent que, contrairement à ce qui avait pu être dit juste après la catastrophe de 1856, la reconstruction des ponts de Serin, de Nemours et de La Mulatière et la destruction d’une partie du rapide de la Mort-qui-Trompe avaient déjà permis d’abaisser le niveau d’une crue semblable à celle de 1840. Les compléments projetés en 1859 améliorent encore la situation. Au total, l’abaissement est au moins de 1,5 m en amont du pont de Nemours, d’1 m environ entre ce dernier et le pont Tilsitt et d’au moins 50 cm en amont du pont d’Ainay. A partir de là, la référence utilisée pour la conception des ouvrages est la crue de 1840 dite « rectifiée », qui correspond au niveau qu’atteindrait une crue de débit égal s’écoulant dans la nouvelle topographie.

Photo 15. Le dérochement au droit du pont de Nemours au milieu du XIXe s.
Photo 15. Le dérochement au droit du pont de Nemours au milieu du XIXe s.

(source : coll. Vanario in Pelletier, 2002b).

Tous les quais de la Saône de Vaise à Lyon sont repris et exhaussés au-dessus du niveau de la crue rectifiée de 1840, et l’endiguement est prolongé en amont du pont de la gare d’eau141. Alors que les anciens quais étaient soutenus par un emmarchement s’avançant dans le fleuve (photo 16), les nouveaux ouvrages sont soutenus par un mur droit maçonné (photo 17). Comme l’exhaussement à apporter est important142, les ingénieurs cherchent à limiter le préjudice résultant de l’enterrement des rez-de-chaussée des maisons en limitant le plus possible l’exhaussement des chaussées et des trottoirs le long des maisons. Sur les quais les plus larges, on choisit donc de ne presque pas exhausser les chaussées, l’élévation des promenades ou des trottoirs offrant une résistance suffisante à la pression des eaux. Seuls les quais les plus étroits doivent être remblayés sur toute leur largeur. Pour éviter de trop percher les parties des quais à exhausser, on décide de compléter l’élévation au moyen de parapets de 90 cm de haut disposés de manière à pouvoir batarder en cas de forte crue les lacunes ménagées pour l’accès aux rampes et aux escaliers menant aux bas-ports. Le couronnement du mur, compte non-tenu du parapet, est établi à 50 cm en-dessous du niveau de la crue rectifiée en amont du Pont La Feuillée, et au niveau de la crue en aval. En amont du pont la Feuillée, la revanche est donc de 40 cm, et elle se porte à 90 cm dans le reste de la ville.

En plus des remaniements des quais de Lyon, on décide la réalisation de l’endiguement complet du territoire de Vaise143. Le dispositif est formé à l’amont par une digue transversale ancrée sur le tout récent remblai de la gare de chemin de fer de Paris et aboutissant à la Saône à 150 m en amont du pont de la gare. L’essentiel des terrains traversés par l’ouvrage est encore vierge de constructions. Sur les points où le tracé rencontre des bâtiments, l’endiguement est interrompu de sorte que les lacunes soient batardables en cas d’inondation. Au niveau de la berge, l’ouvrage se raccorde à une digue latérale revêtue extérieurement d’un perré maçonné et s’avançant jusqu’au pont de la gare d’eau. Entre ce dernier point et le ruisseau d’Ecully, un quai de 24 m de large et soutenu par un perré incliné à 45°, est édifié pour compléter les ouvrages achevés en 1857, qui doivent par ailleurs être exhaussés, comme on l’a signalé plus haut. Le nouveau tronçon possède les mêmes caractéristiques que l’endiguement existant juste à l’aval, en particulier une revanche de 40 cm sur le niveau de la crue de 1840 rectifiée, mis à part qu’il est conçu en perrés maçonnés et non en pierre sèche. L’ensemble est complété par l’endiguement du ruisseau d’Ecully et sa dérivation en cas de crue dans le grand égout longitudinal. Par la suite, l’entrepreneur de la gare d’eau demandera à ce que la digue transversale soit remplacée par la prolongation du quai vers l’amont, mais les ingénieurs craignent que la gare d’eau ne soit un lieu de refoulement des eaux d’inondation de la Saône si elle est englobée dans le périmètre protégé.

Afin d’homogénéiser les caractéristiques des quais lyonnais, un certain nombre d’améliorations concernant l’élargissement à 30 m des quais aval, déjà « insubmersibles » et qu’on n’avait donc pas besoin d’exhausser, seront apportées au projet, essentiellement sur les propositions de l’ingénieur en chef de la ville, toujours fortement appuyées par le préfet Vaïsse144.

Photo 16. Emmarchement au niveau du quai Tilsitt avant la reconstruction des quais
Photo 16. Emmarchement au niveau du quai Tilsitt avant la reconstruction des quais

(source : AML)

Photo 17. Les nouveaux quais de la Saône après la réalisation du Plan Kleitz.
Photo 17. Les nouveaux quais de la Saône après la réalisation du Plan Kleitz.

Les quais sont soutenus par un mur droit et précédés le plus souvent d’un étroit bas-port pour limiter les obstacles à l’écoulement des crues. Le parapet de 90 cm, ponctué d’ouvertures batardables, est destiné à augmenter la revanche des ouvrages sur le niveau des plus fortes crues (ici : le quai Saint-Vincent, rive gauche).

Notes
139.

AML 925WP287, Note sur les projets présentés par M.M. les Ingénieurs de la Navigation pour la défense de la Ville contre les inondations

140.

Rappelons qu’en rive gauche, la ville avait déjà presque achevé la construction d’un ouvrage similaire lors de l’événement de mai-juin 1856, ouvrage que l’on eut alors l’idée d’utiliser pour la première fois dans le but d’accélérer le ressuyage de la crue.

141.

ADR S1368

142.

Dans la section comprise en rive droite entre le pont de Nemours et celui de Tilsitt, soit sur environ 650 m, l’exhaussement prévu est de 69 cm au-dessus de la crête des quais, et il est de 1,24 m en moyenne contre les maisons (ADR S1368).

143.

AML 342WP 002

144.

AML 925WP287