II.2. Des crues d’allure torrentielle fortement influencées par l’Ain

Le Rhône amont à partir de l’Ain connaît ainsi essentiellement des crues de plaine, de saison froide, souvent liées à des pluies de longue durée dues au blocage d’une perturbation océanique sur le continent, ainsi que des crues générales, qui combinent les influences océaniques et méditerranéennes. L’Etude Globale Rhône précise que les trois quarts des crues importantes à Perrache sont des crues océaniques, le quart restant correspondant à des crues générales (Safège, 2001). L’exiguïté du bassin (12 500 km² en aval du Léman, dont Pardé a montré que seulement 11 000 km² participent à l’élaboration de crues du fait de l’altitude élevée des 1500 km² restant) ne permet pas une grande variété de distribution des pluies, si bien que toutes les crues, quelque soit leur type, ont sensiblement la même évolution (Pardé, 1925), contrairement à ce qu’on peut observer sur les deux autres tronçons du « Y. lyonnais »

L’Ain a une influence décisive dans la formation et l’évolution des crues lyonnaises : sur l’essentiel de son cours, il s’encaisse dans une vallée étroite et en forte pente, ce qui induit un temps de concentration très court, phénomène accentué par le caractère évolué du réseau karstique souterrain. La rivière transmet donc très rapidement au Rhône la quasi-totalité de son débit de pointe, dont l’importance relative égale, voire excède, dans les grandes inondations, le flot du Rhône à Sault-Brénaz, et vient ainsi rajeunir la crue du Rhône : le pic de crue au Pont Morand est « plus pointu et plus précoce que le maximum au Sault » (Pardé, 1931 in Bravard, 1985, p. 198). Neuf fois sur dix, l’Ain est en crue lorsque le Rhône monte, et la concomitance des deux flots est moyenne ou parfaite 80% du temps (Safège, 2001). En 1925, M. Pardé a estimé que la pointe de la rivière se déversait au Rhône six heures avant l’arrivée du pic de ce dernier (Pardé, 1925) ; mais cet écart doit très probablement être revu à la baisse du fait de l’accélération du temps de transit des masses d’eau sur le Haut-Rhône en particulier du fait de l’impact des barrages CNR, comme nous le verrons dans le quatrième chapitre de cette partie. Nous n’avons pas connaissance d’une étude réactualisant cette valeur. L’Etude Globale n’apporte pas de réponse sur ce point. En effet, la question du risque de concomitance du pic de crue du Rhône et de ses affluents a été étudiée dans le cadre du volet hydrologie à partir de l’observation des crues historiques (Safège, 2001) ; l’analyse ne peut donc pas rendre compte d’une augmentation du risque de concomitance puisque cette évolution, si elle est avérée comme de nombreux indices semblent le confirmer153, est récente et n’a donc pas encore été matérialisée par les événements, puisque peu de crues importantes sont survenues depuis 154. Dans le cadre du volet hydraulique de l’Etude Globale, la CNR a modélisé la propagation de la crue dans la situation actuelle et tient compte de l’apport des affluents en termes de débits, mais les scénarios hydrologiques utilisés sont basés sur l’observation des crues historiques (CNR, 2001).

La crue peut être double lorsqu’un deuxième flot de l’Ain coïncide avec la pointe du Rhône. Les crues fortes à Lyon résultent soit de la combinaison d’une forte crue de l’Ain et d’une crue moyenne du Rhône supérieur, soit d’une forte crue du Rhône supérieur soutenue par une crue faible de l’affluent jurassien. Ainsi, comme l’a souligné J.-P. Bravard à partir des données de Agard (Agard, 1968 in Bravard, 1985, p. 197), l’importance de 13 des 14 plus grandes crues connues à Lyon est due à l’apport de l’Ain (fig. 47).

Fig. 47. Part contributive de l’Ain dans la formation des 14 plus fortes crues du Rhône depuis 1850
Fig. 47. Part contributive de l’Ain dans la formation des 14 plus fortes crues du Rhône depuis 1850

(source : Bravard, 1985 d’après Agard, 1968, modifié).

Les crues à Lyon sont donc toutes d’allure torrentielle et les hydrogrammes, de forme aplatie à Sault-Brénaz, y présentent une forme aigüe. On sait depuis les travaux fondateurs de M. Pardé que la durée moyenne de la montée à Lyon est de deux jours et demi, tandis que la décrue s’étale sur plusieurs jours, portant la durée moyenne d’une crue à une semaine.

Notes
153.

Nous verrons au Chap. 4, point II. 3 que la CNR elle-même reconnaît que le temps de montée de la crue est plus rapide.

154.

Rappelons que l’aménagement hydroélectrique du Haut-Rhône a été réalisé de 1979 à 1986