II.3. Un fleuve impétueux sur l’ensemble de la période, mais une absence de crue forte depuis 1957

Voyons à présent ce qu’il en est de la puissance des crues du Rhône à Lyon, et intéressons nous à la fréquence annuelle des crues depuis plus d’un siècle et demi (cf. fig. 48) : quelle est l’ampleur des débits caractéristiques, et quelle a été l’occurrence de ces derniers au cours de notre période ?

La crue record (tab. 13) observée sur le Rhône amont est le célèbre épisode de mai-juin 1856, dont le maximum s’est produit le 31 mai : un débit maximum instantané de 4500 m3/s, soit sept fois et demi le module, et un débit spécifique de 220 l/s/km², ce qui équivaut à une crue plus que cent-cinquantennale. Le niveau des eaux au Pont Morand a alors atteint 6,25 m au-dessus du zéro de l’échelle, hauteur inégalée depuis, et serait même probablement monté à 6,4 m sans la rupture de la digue de Brotteaux, survenue le 31 mai à 1 h. Hauteur d’autant plus impressionnante que la montée fut fulgurante : 3,2 m 24 heures le 30, soit près de 0,15 m/h.

Fig. 48. Crues maxima annuelles (1840-2005) et crues caractéristiques au pont Morand.
Fig. 48. Crues maxima annuelles (1840-2005) et crues caractéristiques au pont Morand.

Le Rhône amont se caractérise par une forte abondance spécifique : le module interannuel à Perrache, pour la période 1920-2005, est de 598 m3/s, soit un débit spécifique de 29,5 l/s/km², tandis que le débit spécifique de référence d’étiage est de 13,4 l/s/km², soit 46% du module. Le rapport entre le débit caractéristique d’étiage (quinquennale sèche) et le débit de la crue biennale et de 1 à 8,4, il est de 1 à 16,4 entre le débit caractéristique d’étiage et le débit record de 1856.

Le débit centennal calculé par la CNR avec la méthode de Gumbel, pour la période 1900-2002, est de 4230 m3/s, soit un débit spécifique de 207 l/s/km², environ sept fois le module interannuel. Trois crues ont atteint ou dépassé cette puissance depuis 1840 : la crue cent-cinquantennale de 1856, et les crues centennales de 1928 et 1944. Par ordre d’importance viennent ensuite trois crues qui ont roulé un débit maximum instantané environ cinquantennal, en 1882, 1899 et 1918, et deux crues trentennales à un siècle d’intervalle, en 1851 et 1957, et enfin une dizaine de crues vicennales, dont la dernière remonte à 1945.

L’étude de la fréquence annuelle des crues du Rhône amont confirme donc la réputation d’impétuosité du Rhône : depuis 1840, on dénombre une vingtaine de crues au moins vicennales, dont le débit de pointe à dépassé de six à sept fois et demi le module, et plus d’une trentaine de crues au moins décennales (qui ont multiplié le module par cinq au moins). Mais, hormis une crue décennale en 1990, tous ces événements se sont produits avant la fin des années 1950. Autrement dit, alors qu’il s’est produit une crue supérieure ou égale à Q10 plus d’une année sur quatre jusqu’en 1957, une crue au moins vicennale presque tous les 6 ans et une crue exceptionnelle tous les quarante ans, les cinquante dernières années ont connu une accalmie quasi-totale, avec une seule crue décennale en 1990. Cette particularité du Rhône dans le « Y lyonnais » pose question. En effet, la plupart des régions européennes, et en particulier l’Arc Alpin, ont connu une recrudescence des crues fortes depuis le début des années 1990, y compris le Rhône lui-même en amont et en aval de Lyon. Deux hypothèses peuvent être avancées ; la première est celle du rôle régulateur du barrage de Vouglans, qui aurait écrêté les crues de l’Ain, dont on a vu le rôle déterminant dans la formation des fortes crues à Lyon. Le débit de pointe de la crue de 1990 a d’ailleurs été laminé de 700 m3/s grâce à cet ouvrage, ce qui en a fait une crue décennale à Lyon au lieu d’une crue cinquantennale (Safège, 2001). Malgré cela, comme nous le verrons plus loin, EDF ne reconnaît pas la vocation d’écrêtement du barrage de Vouglans. Deuxièmement, on ne peut pas exclure un comportement hydroclimatique particulier de cette partie des Alpes qui expliquerait l’absence d’événement important non pas du fait des impacts anthropiques mais du fait des variations climatiques.

Tab. 10. Fréquence saisonnière des crues maxima annuelles aux stations de Couzon, Perrache et Ternay : a. (1840-1919), b. (1920-2005), c. (1840-2005).
Tab. 10. Fréquence saisonnière des crues maxima annuelles aux stations de Couzon, Perrache et Ternay : a. (1840-1919), b. (1920-2005), c. (1840-2005).

(source : Pardé, 1925 et 1942, données CNR)

Tab. 11. Fréquence saisonnière des 30 crues les plus fortes à Couzon, Perrache et Ternay (1840-2005)
Tab. 11. Fréquence saisonnière des 30 crues les plus fortes à Couzon, Perrache et Ternay (1840-2005)

(source : Pardé, 1925 et 1942, données CNR)

Tab. 12. Evolution de la fréquence saisonnière des crues les plus fortes ces 25 dernières années par rapport aux périodes 1840-1920 et 1920-1979
Tab. 12. Evolution de la fréquence saisonnière des crues les plus fortes ces 25 dernières années par rapport aux périodes 1840-1920 et 1920-1979
Tab. 13. Caractéristiques hydrologiques des deux plus fortes crues connues à chaque station.
Tab. 13. Caractéristiques hydrologiques des deux plus fortes crues connues à chaque station.
Tab. 14. Dénombrement des 30 crues historiques les plus fortes à Couzon, Perrache et Ternay en fonction de leur période de retour.
Tab. 14. Dénombrement des 30 crues historiques les plus fortes à Couzon, Perrache et Ternay en fonction de leur période de retour.