Une étude comparée des zones inondées aux différentes dates nous permet de visualiser et d’analyser l’évolution du champ d’inondation depuis les grandes crues de 1840 et 1856, qui délimitent les lits majeurs exceptionnels historiques du Rhône et de la Saône avant la réalisation de l’essentiel des aménagements et l’enregistrement des impacts sur l’hydrosystème. Pour ce faire, nous avons cartographié les surfaces mises en eau par les crues de 1840, 1856, 1896, 1928, 1955, 1957, 1981, 1982, 83, 1990, 2002, et les crues calculées dans la situation actuelle pour les différents débits de référence (CNR, 1998 et 2003). La plupart des couches sont des « zooms » sur certains secteurs car l’information n’existe pas partout. On trouve certaines informations ponctuelles sur le sens d’écoulement, les hauteurs d’eau, les destructions du bâti, donnant une idée des vitesses, dans la littérature et dans les différentes archives ; l’étude de la presse écrite permet parfois de compléter l’information.
Les couches du SIGéohistorique ainsi réalisées permettent de spatialiser l’aléa et de diagnostiquer son évolution. L’outil nous a permis de calculer les superficies inondées par les crues historiques et celles théoriquement inondables dans la topographie actuelle pour les débits caractéristiques calculés par la CNR et de quantifier les évolutions. Si les superficies indiquées par le modèle de la CNR restent théoriques, précisons malgré tout que le maillage employé pour la réalisation du modèle numérique de terrain est assez fin157 et que le modèle a été étalonné avec précision sur des crues récentes, ce qui permet de penser que les limites fournies sont relativement fiables et offrent une base de comparaison solide avec les crues historiques. Nous tenons cependant à préciser au lecteur que seuls des faits avérés permettront de valider de façon absolument certaine le diagnostic de l’extension actuelle des zones inondables. Pour enrichir l’analyse de l’évolution des superficies inondées, nous avons cartographié l’emprise du réseau hydrographique en 1828, 1860, 1900, 1950 et dans la situation actuelle. Cela permet de distinguer le lit mineur du lit majeur afin de préciser l’importance des zones inondables selon la période considérée. Dans le cœur urbain par exemple, le lit mineur et le lit majeur actuels se confondent par endroits ; en déduisant la superficie du premier au second, la contraction du champ d’inondation est encore plus nette.
L’analyse de l’extension des inondations est complétée par la prise en compte des hauteurs d’eau observées et modélisées en lit mineur et en lit majeur, qui sont une des composantes de l’aléa et dont la comparaison permet elle aussi d’appréhender l’importance de l’endommagement potentiel. En particulier, l’analyse des hauteurs d’eau maximum au droit des secteurs protégés par l’endiguement donne une idée de la revanche de ce dernier sur les crues, et complète la prise en compte de l’extension spatiale de la contrainte fluviale. Enfin, nous avons cherché à reconstituer la logique de la mise en eau et celle du ressuyage des crues en fonction des points de débordement et des zones d’écoulement préférentielle. Là encore, le diagnostic de la situation actuelle est fait à partir des résultats de la modélisation CNR et enrichit à la lumière des héritages géomorphologiques et anthropiques (topographie des aménagements urbains qui orientent l’écoulement). Finalement, l’aléa est appréhendé dans ses quatre dimensions spatio-temporelles : son extension spatiale et dynamique (logique de la mise en eau et périmètre inondé), les hauteurs atteintes par la lame d’eau, sa durée - lorsque l’information existe - et son évolution dans le temps.
Une première analyse générale menée à l’échelle du corridor dans son ensemble fait ressortir les grandes tendances suivantes (fig. 51) :
Au milieu du XIXe siècle, les zones inondables s’étendaient sur près de 3 360 ha dans la vallée de la Saône et 9 570 ha dans la plaine rhodanienne. Dans la Presqu’Ile, le champ d’inondation des deux cours d’eau se confond par endroits : certains secteurs ont historiquement été inondés tantôt par le fleuve, tantôt par son affluent. Aussi, par souci de rigueur, ces espaces (plus de 30 ha) n’ont été comptabilisés qu’une seule fois dans la superficie totale du lit majeur, qui se porte ainsi à près de 12 900 ha pour l’ensemble du Y lyonnais.
Dans la vallée de la Saône, l’évolution de l’aléa ne peut pour l’instant pas être appréciée à l’amont du territoire du Grand Lyon, de Trévoux à Genay, en l’absence de données concernant la situation actuelle. La crue récente de 2001 a roulé un débit trop faible (Q30) pour pouvoir nous servir d’élément de comparaison. Cette lacune devrait rapidement pouvoir être comblée puisqu’une modélisation hydraulique vient d’être confiée au bureau d’étude Hydratec afin de réactualiser la connaissance de l’aléa inondation dans le Val de Saône. La publication des résultats est attendue pour la fin de l’année 2007. Notre diagnostic ne porte donc pour l’instant que sur la partie du corridor sauconnien situé sur le territoire du Grand Lyon. La comparaison du lit majeur historique avec la cartographie des zones théoriquement inondables pour la crue millénale calculée par la CNR (3 700 m3/s à Couzon), dont le débit approche celui de la crue de 1840 (4 300 m3/s), montre une légère contraction du champ d’inondation : les superficies noyées ont diminué d’environ 10 %, passant de 1437 à 1288 ha. Mais ce chiffre doit probablement être minoré pour un débit égal à celui de 1840, qui a roulé 500 m3/s de plus que la crue millénale théorique, pour lequel l’inondation s’étendrait probablement au-delà des zones théoriquement inondables en cas de crue millénale.
L’évolution est en revanche bien plus considérable dans la vallée du Rhône, où le lit majeur s’est presque réduit de moitié. Une crue semblable au maximum de 1856 (environ cent-cinquantennale à Lyon) inonderait aujourd’hui 5 372 ha, soit seulement 56,1 % de l’espace recouvert par les eaux en 1856. La contraction est très nette en rive gauche du fleuve, depuis Vaulx-en-Velin jusqu’à Ternay, ainsi que dans la Presqu’Ile et dans le secteur d’Irigny en rive droite. Seuls la plaine de Vaulx-en-Velin et le quartier de La Mouche-Gerland connaîtraient encore d’importants débordements en cas de crue exceptionnelle, pour un débit supérieur au maximum historique. Néanmoins, soulignons d’emblée que les points bas de la plaine restent très probablement soumis à l’inondation indirecte causée par la crue de la nappe d’accompagnement du Rhône et par le reflux dans les réseaux158, mais cette contrainte est sans commune mesure avec la violence des courants qui traversaient autrefois la plaine, comme nous l’avons vu précédemment lors de l’étude de la catastrophe de 1856.
Sur les marges du corridor, les inondations restent fréquentes et importantes : dans la plaine de Miribel-Jonage à l’amont de l’agglomération lyonnaise, aux abords du Rhône court-circuité à l’aval du barrage de Pierre-Bénite, ainsi que dans le Val de Saône. Mais si le champ d’expansion des crues s’est presque partout resserré, avec plus ou moins d’importance, on observe au contraire une aggravation des inondations en rive droite du canal de Miribel, sur les communes de Niévroz, Thil et Beynost. En particulier, l’aléa a considérablement augmenté dans le village de Thil, où les superficies inondables ont plus que doublé par rapport à 1856.
On peut donc distinguer le cœur urbain, aujourd’hui protégé des inondations bien qu’il demeure une vulnérabilité résiduelle, des marges vulnérables. Les pages suivantes sont consacrées à l’étude territorialisée de l’extension dynamique des inondations et traitent conjointement des débordements directs, indirects et du risque de rupture de digue.
Le modèle numérique de terrain employé pour modéliser les débordements directs est celui de la Communauté Urbaine de Lyon qui offre une précision de plus ou moins 20 cm et a été amélioré pour les besoins de l’étude par les ingénieurs de la CNR.
Les terrains graveleux de la plaine du Rhône sont perméables et le toit de la nappe d’accompagnement du fleuve est proche de la surface, ce qui tend à favoriser l’inondation indirecte par la remontée de la nappe (SNRS, 2000). Une étude a récemment été confiée au BRGM pour analyser précisément la question des crues de nappe dans Lyon et est actuellement en cours ; les résultats ne sont pas encore disponibles à l’heure où ces lignes sont écrites.
Quant à la problématique du reflux par les réseaux, elle est complexe et mal connue dans Lyon et n’a volontairement pas été prise en compte dans la modélisation commandée par le SNRS et la DIREN à la CNR dans le cadre du PPRI des inondations du Rhône et de la Saône sur le territoire du Grand Lyon (CNR, 2003).