I. L’invulnérabilité relative du cœur urbain

I.1.Une contraction très nette des zones inondables, en particulier en rive gauche du Rhône

A l’entrée de Lyon, la vallée de la Saône s’encaisse entre les versants de la bordure orientale du Massif Central et les zones inondables, lorsqu’elles existent, sont réduites à une centaine de mètres de large au maximum de part et d’autre de la rivière. Avant d’emprunter le défilé de Pierre-Scize et d’entailler le promontoire de la Croix-Rousse, la vallée s’élargit néanmoins dans les plaines de la Caille et de Serin en rive gauche et dans celle de Vaise en rive droite. A l’aval de la passerelle Saint-Vincent et jusqu’au confluent, la plaine s’étend à nouveau, essentiellement en rive gauche au niveau de la Presqu’Ile où les lit majeurs de la rivière et de son affluent se rejoignent.

Le corridor fluvial du Rhône dans la traversée du cœur urbain est limité en rive droite par les versants de la Côtière des Dombes et les balmes de la Croix-Rousse, avant de s’élargir au niveau de la Presqu’Ile, qui constitue une basse terrasse holocène encore en partie inondable au milieu du XIXe siècle (Bravard, 2002). En rive gauche, le lit majeur est délimité par la terrasse holocène de Villeurbanne, dite terrasse des 175 m, dont quelques lambeaux non inondés en 1856 subsistent au sein du lit majeur du XIXe siècle. En avant de ce niveau perché, le secteur de la Guillotière, inondé en 1856, est un ancien secteur de tresses fluviales (Bravard et al., 2007). Enfin, entre ces deux bandes, on trouve un niveau intermédiaire situé sur les marges de la terrasse de Villeurbanne, 1 à 2 m au-dessus de la bande active et donc faiblement inondé en 1856 (ibid.). A l’état naturel, le lit majeur du Rhône est donc très développé sur la rive droite du fleuve :

  • 4 430 m dans l’axe du pont Poincaré, dont près de 3 900 m en rive gauche, et 400 m à Saint-Clair en rive droite
  • Près de 5 000 m de large en rive gauche du pont Morand (rien en rive droite)

4 950 m dans l’axe du pont Lafayette, dont 4 550 m en rive gauche et un peu plus de 220 m en rive droite

Fig. 52. Evolution des superficies inondables dans le cœur urbain depuis 150 ans.
Fig. 52. Evolution des superficies inondables dans le cœur urbain depuis 150 ans.
  • 1 500 m en rive gauche dans l’axe du pont de la Guillotière
  • 1 300 m en rive gauche à La Mouche
  • 2 200 m en rive gauche à Gerland dans l’axe du pont Pasteur, et un peu plus de 220 m en rive droite

A l’heure actuelle, la majeure partie du cœur urbain construit dans la plaine alluviale est soustraite au champ d’inondation historique par un très beau système de digues. L’endiguement de Lyon a été étudié par H. Villien (1937), G-C. Ravier (1982a) et J. Pelletier (2002b). Nous avons approfondi et complété ces informations par un travail d’archives (Combe, 2004), afin de comprendre précisément l’état et l’agencement des ouvrages actuels sur l’ensemble de notre secteur d’étude159. Le rempart sur le Rhône dans la traversée de Lyon serait parfaitement insubmersible pour une crue millénale en rive droite et en rive gauche, excepté au droit du quartier de la Mouche-Gerland qui serait insubmersible en cas de crue centennale mais reste théoriquement inondable pour une crue exceptionnelle. En revanche, la protection est moins infaillible sur la Saône où le lit majeur a relativement peu évolué.

La figure 52 précise les superficies inondées par les maxima historiques du milieu du XIXe siècle, et les compare aux superficies théoriquement inondables à débit égal dans la situation actuelle. Sur le Rhône, le débit maximum instantané roulé par la crue de 1856 a une période de retour de 150 ans (4 500 m3/s). Sur la Saône, la crue de 1840 a roulé pour sa part 4 300 m3/s d’après M. Pardé ; le débit de la crue millénale calculé par la CNR lui est inférieur (3 700 m3/s), si bien qu’il faut prendre les résultats issus de notre comparaison avec précaution puisqu’on est en droit de penser que les zones qui seraient aujourd’hui inondées en cas de débit équivalent à celui de 1840 seraient plus étendues que celles théoriquement inondables pour la crue millénale.

Sur la Saône, l’évolution la plus importante concerne le quartier de Vaise, dont les marges inondées en 1840 ne le seraient plus aujourd’hui. Cela s’explique très probablement par l’abaissement du plan d’eau suite aux travaux de rectification du lit mineur menés au milieu du XIXe siècle et qui ont abaissé la crue dans ce secteur de plus de 1,5 m (cf. partie II). Globalement sur la commune de Lyon, et en prenant ces chiffres avec une certaine précaution pour les raisons évoquées plus haut, les zones théoriquement inondables aujourd’hui en cas de crue millénale représentent 69,3 % du champ d’inondation de 1840 (319,7 ha pour Q1000 contre 461,5 ha en 1840), et même 42,3 % (132,8 ha contre 319,7 ha) si l’on exclut le lit mineur.

Sur la commune de Lyon, la superficie des zones inondables du Rhône pour un débit cent-cinquantennal est passée de 1 586 ha à 202 ha, soit une réduction de 87,3%. L’évolution est encore plus importante si l’on exclut du calcul les surfaces du lit mineur : la contraction est alors de 98,3% (on passe de 1453,5 ha en 1856 à 24,7 ha aujourd’hui, dont une grande part correspond au lac du Parc de la Tête d’Or, le seul quartier inondé étant celui de la Cité Internationale, construit en avant de l’endiguement du XIXe siècle). Toutefois, une partie du lit majeur historique reste inondable pour des crues supérieures au maximum historique, dans le quartier de Gerland. Ainsi pour la crue millénale, un peu plus de 600 ha demeurent théoriquement inondables (420 ha sans compter le lit mineur), ce qui porte tout de même les zones soustraites aux débordements aux deux tiers du lit majeur historique. A Villeurbanne, la contraction s’est faite dans les mêmes proportions : elle est de 87,8 % en prenant en compte les cours d’eau et 96,8 % en les excluant. Les superficies qui restent aujourd’hui inondables correspondent au secteur de La Feyssine et au quartier Saint-Jean en rive droite du canal de Jonage, qui ne fait pas partie du cœur urbain mais appartient à l’entité du Rhône amont dont nous reparlerons plus loin.

Le rehaussement du plan d’eau à l’étiage consécutif à la mise en service du barrage de retenue de Pierre-Bénite a par ailleurs contribué à effacer les manifestations des crues du Rhône à Lyon, en réduisant fortement le marnage existant auparavant entre les extrêmes hydrologiques du fleuve. A l’étiage, la retenue de Pierre-Bénite s’étend sur 4,5 km jusqu’au confluent, puis sur 6 km dans le Haut-Rhône (jusqu’au pont W. Churchill au droit de Saint-Clair), et 11,5 km dans la Saône (jusqu’au barrage de Couzon). La cote maximum de la retenue est de 162 m en étiage (NGF ortho160). Le point de réglage du barrage de situe au PK 3 du Bas-Rhône, 1 km à l’amont de l’usine de Pierre-Bénite. La loi de consigne est la suivante : à l’étiage et jusqu’à un débit de 1 000 m3/s, la cote normale de la retenue se situe à 162 m (NGF ortho). Au-delà de 1000 m3/s, le barrage est progressivement rabattu, ce qui provoque dans un premier temps un abaissement du niveau de la retenue jusqu’à la cote 161,5, atteinte lorsque le débit de pilotage se porte à 2700 m3/s. Pour un débit supérieur à 3000 m 3/s, le barrage est complètement effacé et l’on retrouve les niveaux et les conditions d’écoulement avant aménagement.

Voyons plus en détail quelle est la configuration actuelle théorique du risque au sein du cœur urbain (fig. 53).

Notes
159.

Le lecteur se reportera aux parties II et IV pour une étude détaillée des caractéristiques techniques et du contexte d’élaboration de chaque ouvrage.

160.

La CNR continue à travailler à partir du système de nivellement Lallemand (cotes orthométriques). A Lyon, il faut rajouter 24 cm pour obtenir les niveaux IGN 69. Pour une étude détaillée de l’évolution des systèmes de nivellement, nous renvoyons le lecteur à l’étude faite par N. Landon dans sa thèse (Landon, 1999).