II.3.b. Fonctionnement hydraulique du secteur et conditions de mise en eau de la plaine.

Le barrage de Pierre-Bénite comporte six passes mobiles de 21 m de large chacune, équipées de vannes-wagon, et possède un débouché linéaire de 126 m. Il est alimenté par un canal évacuateur de crues de 2 km de long, 190 m de large et 10 m de profondeur à partir duquel une partie du débit est dérivé dans l’usine de Pierre-Bénite, située en rive gauche. Le débit d’équipement de l’usine, qui est pourvue de quatre groupes hydroélectriques de type bulbe, est de 1380 m3/s. Deux pertuis font office de déchargeur de crue et ont une capacité maximum de 600 m3/s ; le surplus du débit dérivé est ensuite évacué par les turbines dont les vannes sont partiellement levées. A l’aval de l’usine, le canal de fuite de l’ouvrage CNR, long de 11 ,5 km, rejoint le Vieux-Rhône au niveau de Ternay. Jusqu’en 2001, le Vieux-Rhône recevait un débit réservé de 20 m3/s du 1er avril au 31 août, et de 10 m3/s du 1er septembre au 31 mars. Cette valeur a récemment été portée à 100 m3/s dans le cadre du programme décennal de restauration du Rhône court-circuité.

Le canal de fuite ainsi que la rive gauche du canal évacuateur de crue sont bordés de digues insubmersibles conçues pour contenir la crue millénale de projet, estimée à 7 500 m3/s. En rive gauche, l’endiguement insubmersible (arasé à la cote 165) a été prolongé jusqu’au quai du port E. Herriot. Toute la rive gauche du couloir de la chimie, autrefois largement inondable, est donc désormais à l’abri des débordements. En rive droite, l’autoroute A7 longe la berge et fait office de digue jusqu’à Pierre-Bénite, excepté au droit de l’Yzeron, qui conflue au Rhône à la limite entre la Mulatière et Oullins. Comme la mise en service de la chute de Pierre-Bénite a relevé le niveau du Rhône au débouché du ruisseau, le cours inférieur de ce dernier, touché par le remous du Rhône, a été endigué et approfondi sur 700 m de long environ. Cet endiguement est arasé à la cote atteinte lors de la crue de 1957, dont le débit est estimé à 5 300 m3/s ce qui correspond à une période de retour de presque 50 ans à Givors ; il est submergé pour les débits supérieurs. A l’aval du quartier de la Saulaie à Pierre-Bénite, le remblai de l’autoroute A7 s’écarte de la berge, qui est tout de même protégée par un endiguement submersible arasé à 50 cm au-dessus du niveau atteint en 1957.

Le système de digue est complété par l’existence de vastes plateformes remblayées situées dans trois secteurs principaux, et qui sont aujourd’hui complètement à l’abri des débordements directs et en grande partie indirects : tout le long du corridor en rive gauche du canal de fuite, en rive droite de la retenue depuis le quartier des Hautes Roches, à Pierre-Bénite jusqu’à l’Arsenal d’Irigny, et entre le canal de fuite et la rive gauche du Vieux-Rhône à Feyzin et Solaize.

Enfin, deux collecteurs de drainage ont été mis en place afin de limiter les inondations par filtrations qu’aurait entraînées le rehaussement du plan d’eau suite à la mise en service du barrage de retenue. En rive gauche du Rhône, il prend son origine au droit de la gare de Perrache et aboutit à l’aval immédiat de l’usine. En rive droite, il longe la berge à partir de La Mulatière, franchit le canal évacuateur à l’aval immédiat du barrage puis se rejette dans le canal de fuite.

A l’aval de Lyon, les débordements du Rhône seraient théoriquement contenus jusqu’à la crue bicentennale, et même cinq-centennale pour les terrains abrités par l’autoroute A7 (fig. 63 p. 277). Cependant, les terrains commenceraient à être inondés bien avant par reflux du Rhône dans l’Yzeron. La zone des ateliers SNCF serait inondée à partir de la crue trentennale, tandis que la zone industrielle des bords du Rhône serait protégée pour un débit inférieur à la crue centennale. A partir d’un débit de pointe d’une période de retour de 150 ans, l’inondation serait généralisée depuis l’Yzeron jusqu’au quartier de la Saulaie à Oullins, avec des hauteurs excédant partout 50 cm d’eau, dépassant le mètre sur les deux tiers de ce secteur. Pour la même période de retour, l’autoroute A7 commencerait à être inondée au droit de Pierre-Bénite. A partir de la crue cinq-centennale, elle serait noyée sous 50 cm à 1 m d’eau entre La Mulatière et l’échangeur de Pierre-Bénite. La voie SNCF serait quant à elle insubmersible jusqu’à la crue cinq centennale, débit pour laquelle elle serait partiellement inondée entre Pierre-Bénite et Vernaison.

Les débordements sont bien plus fréquents en aval du barrage de retenue. En période de crue, l’essentiel du débit se déverse dans le Vieux-Rhône, qui commence à déborder dans le lit majeur dès la crue biannuelle, et inonde alors d’anciennes lônes (CNR, 2003). L’inondation des terrains industrialisés ou habités se produit quant à elle à partir d’un débit de crue décennal ou vicennal selon les secteurs (plus précisément, 4500 m3/s en rive droite et 4400 m3/s en rive gauche) : en rive droite, la zone industrielle d’Irigny est alors inondée jusqu’aux ateliers d’Irigny. En rive gauche, un léger débordement a lieu en amont de la zone industrielle. A l’aval d’Irigny, la rive gauche du Vieux-Rhône reste largement et fréquemment inondable, tout comme les îles Tabard, Ciselande et de la Petite Chèvre en rive droite (partout plus de 2 m d’eau), mais ces secteurs sont peu vulnérables. Les voies de circulation ne sont théoriquement pas concernées par l’inondation et resteraient insubmersibles (mis à part à Vernaison, où les trémies passant sous la voie ferrée seraient inondées).

Si l’essentiel des terrains industriels du couloir de la chimie n’est plus exposé au débordement direct du fleuve, ces derniers n’ont cependant pas tous été remblayés au-dessus du niveau qu’atteindraient les crues exceptionnelles dans le lit mineur, et sont ainsi potentiellement exposés aux phénomènes de remontée de nappe et d’inondation à partir des réseaux. L’analyse de la carte des débordements indirects (fig. 64 p. 279) permet de préciser et de nuancer la situation des différentes parcelles :

  • un grand nombre d’usines sont potentiellement concernées en cas de crue centennale :
  • A Pierre-Bénite (rive droite), une partie des terrains des grandes roches en arrière de l’autoroute A7, où l’on produit de l’acide sulfurique.
  • A Saint-Fons (rive gauche), les terrains industriels situés au nord de la station d’épuration, qui abritent des usines de chimie fine (Saint Fons Nord, Saint-Fons Sud), Saint-Fons Polymères (ex Péchiney-Saint-Gobain)(excepté le terrain déjà occupé par l’usine Saint-Gobain au XIXe, qui est insubmersible) et l’usine Ciba ; une partie de la Belle Etoile (anciennement Rhodiaceta) à l’est du boulevard Pierre Semard.
Fig. 63. Zones théoriquement inondables par débordement direct à l’aval de Lyon dans la situation actuelle.
Fig. 63. Zones théoriquement inondables par débordement direct à l’aval de Lyon dans la situation actuelle.
Fig. 64. Zones potentiellement soumises aux crues de la nappe dans le corridor aval.
Fig. 64. Zones potentiellement soumises aux crues de la nappe dans le corridor aval.
  • Les terrains de Feyzin et Solaize situés au sud de la D301, entre l’autoroute A7 et la voie ferrée (zone artisanale du Château de l’Ile, la société Rhône Gaz et la marge nord ouest de la gare de triage de Sibelin) (rive gauche du canal de fuite).
  • La partie sud de la raffinerie de Feyzin située sur la commune de Solaize (rive gauche du canal de fuite).
  • Deux secteurs ne seraient touchés qu’à partir de la crue bicentennale :
    • Les terrains situés au nord de la Société Mécanique d’Irigny (rive droite).
    • La partie de la raffinerie de Feyzin située sur la commune du même nom (rive gauche).
  • La zone située dans la partie sud de Saint-Fons et au nord de Feyzin, en amont de la raffinerie, n’est touchée qu’en cas de crue millénale. Il s’agit de l’essentiel de l’usine de la Belle-Etoile (à Saint-Fons et au nord de Feyzin) et les usines Silicones à Saint-Fons (rive gauche)
  • Enfin, un certain nombre de secteurs du lit majeur sont complètement insubmersibles :
    • Le remblai situé en arrière de l’autoroute A7 au droit de la Verrerie de Pierre-Bénite (rive droite).
    • La partie sud d’Yvours au nord de l’autoroute A450, la station d’épuration de Pierre-Bénite et les terrains de l’usine Air Liquide.
    • Une partie des terrains de la Société Mécanique d’Irigny (rive droite).
    • La digue insubmersible située entre le canal évacuateur de crue et le canal de fuite, en amont du barrage de retenue.
    • Les terrains des usines Plymouth et Lumière entre le Vieux-Rhône et le canal de fuite, en aval du PK8.
    • Les voies ferrées et l’essentiel de la gare de triage de Sibelin.
    • A Saint-Fons, les terrains remblayés situés au sud du boulevard de ceinture et entre le boulevard Pierre Semard et le port E. Herriot (rive gauche).
    • Les digues du canal de ceinture.
    • Le secteur situé au centre de l’usine Belle Etoile, en bordure du canal de fuite (rive gauche).
    • Certaines routes à Feyzin.
    • Le remblai de l’autoroute A7 longeant le canal de fuite au sud de la raffinerie de Feyzin, excepté une partie de l’Institut Français du Pétrole qui se trouve en-dessous du niveau de la crue millénale.

L’importance des remblais n’a-t-elle pas une incidence sur le niveau des eaux dans le reste de la plaine ? Le corridor à l’aval de Lyon a connu une aggravation importante des inondations dans la première moitié du XXe siècle. Les ingénieurs de l’époque ont constaté que les hauteurs des crues de 1899 et 1957 ont été plus élevées que celle de 1856, attribuant l’augmentation des niveaux au resserrement du champ d’inondation dans la traversée de la ville ainsi qu’aux emprises des nombreux remblais progressivement érigés dans la plaine (cf. partie IV, chapitre 2). A l’heure actuelle, la tendance serait la même si une grande partie du débit n’était pas dérivé dans le canal de fuite de la CNR, entre des digues calibrées au-dessus de la crue millénale estimée à l’époque à 7500 m3/s selon les calculs de CNR. Néanmoins comme on l’a vu précédemment, on ne peut pas complètement exclure que ce débit théorique puisse être dépassé en cas de concomitance parfaite des débits de pointe du Rhône amont et de la Saône, si les deux cours d’eau connaissaient simultanément une crue exceptionnelle. La combinaison des records du Rhône et de la Saône à Lyon fournirait un débit de pointe de 8 800 m3/s ; ce chiffre serait encore plus important en cas de crue millénale du Rhône, qui porterait le maximum à 9 610 m3/s. Enfin, la combinaison de deux crues très fortes (au sens de l’Etude Globale Rhône) donnerait un total de 10 410 m3/s. Un tel cataclysme, certes très peu probable mais qui n’est toutefois pas complètement impossible (Pardé, 1925), serait sans soute extrêmement dommageable pour la population et les activités du couloir de la chimie.