Chapitre 4. Facteurs d’évolution de l’hydrologie des crues lyonnaises

Les caractéristiques des crues lyonnaises ne peuvent réellement se comprendre sans la prise en compte des modalités de la propagation des crues à l’échelle du bassin versant. A l’état naturel, la marche des crues du Haut-Rhône jusqu’à Lyon est en effet influencée par plusieurs facteurs limitatifs ou aggravants. Jusqu’au confluent de l’Ain, le lac Léman et les plaines intramontagnardes vont contribuer à atténuer les crues du Rhône-Amont, qui présentent une forme aplatie à Sault-Brénaz, avant que la contribution de l’Ain n’imprime un caractère torrentiel aux crues lyonnaises.

La traversée du Lac Léman a pour effet de régulariser le régime du Rhône supérieur. En particulier, le Léman exerce un effet retardateur sur les hautes eaux qui permet de réduire environ de moitié les plus forts débits (Bravard, 1985). Ainsi, comme l’ont montré les travaux de l’ingénieur E. Vallée, le niveau atteint par la pointe de la crue de 1856 au pont Morand, le 31 mai à 15 heures, a-t-il été abaissé de 35 cm grâce à l’écrêtage offert par le lac (ibid., p. 190).

Après avoir traversé une section rétrécie en gorges de Genève à Seyssel, la crue du Haut-Rhône sollicite un vaste champ d’inondation formé par une succession d’ombilics glaciaires mal remblayés séparés par des défilés (fig. 65) :

Au total, l’Atlas du cours du Rhône porte à 275,85 km² la superficie inondée sur le Haut-Rhône en 1856, sur une surface ennoyée totale de 2 470,31 km², dont 1644 km² à l’aval de Beaucaire (Bravard, 1985, p. 200). Les zones inondées sur le Haut-Rhône représentent ainsi le tiers du champ d’inondation compris entre Genève et Beaucaire, alors même que ce n’est qu’à partir du confluent de l’Ain que l’événement de 1856 prit toute son ampleur est constitue la crue de référence : à Seyssel, le maximum historique a été la crue de 1910 avec 1 800 m3/s et 5 m, contre 1 430 m3/s et 4,6 m en 1856 (Pardé, 1925).

Il semble que ce soit l’extrême de 1856 qui permit aux ingénieurs de l’époque de saisir dans leur pleine mesure le rôle de ces vastes zones inondables : « les larges plaines dont le Rhône est bordé fonctionnent comme de petits lacs » (Kleitz, 1859 in Bravard, 1985 p. 200). L’étalement naturel des eaux dans les plaines du Haut-Rhône joue un rôle prépondérant dans la marche des crues. Malgré la puissance des crues des affluents successifs du Rhône, la croissance du débit de pointe du fleuve n’est pas proportionnelle à l’augmentation des aires contributives (Pardé, 1925). On note au contraire un aplatissement significatif de l’hydrogramme vers l’aval (ibid. ; Mériaudeau, 1980 ; CNR, 2003), jusqu’à la confluence de l’Ain à partir de laquelle, on l’a déjà vu, la crue est à l’inverse fortement rajeunie par le flot de l’affluent jurassien et prend alors un caractère torrentiel encore nettement visible à Lyon, malgré un certain laminage du débit dans la plaine de Miribel-Jonage. Le fonctionnement hydrologique des plaines du Haut-Rhône a été étudié dans le détail par J.-P. Bravard (1985). Nous y renvoyons le lecteur désireux de comprendre la logique de la mise en eau de chaque entité, développement qui dépasse le cadre de notre propos.

Fig. 65. Le champ d’inondation du Rhône de Genève à Lyon en 1856.
Fig. 65. Le champ d’inondation du Rhône de Genève à Lyon en 1856.

(source : SNRS)

Le bienfait des plaines intramontagnardes est double. Elles permettent à la fois un écrêtement et un étalement de la pointe de la crue du Rhône supérieur, dont l’intensité et la puissance se trouvent ainsi atténuées : « depuis les grandes crues du XIXe siècle les ingénieurs connaissent cet effet bénéfique des plaines rhodaniennes sans lesquelles la ville de Lyon n’aurait pu accomplir si aisément sa conquête des terres basses » (Bravard, 1985 p. 214). La loi du 28 mai 1858 vise d’ailleurs à préserver cette fonction essentielle et établit le principe de l’intangibilité du champ naturel d’expansion des crues, dans le but principal de prévenir une aggravation du risque d’inondation à Lyon, au nom de l’intérêt général.

L’évolution de l’aléa s’explique-t-elle par une évolution des conditions de formation des crues lyonnaises repérable à l’échelle du bassin du Rhône ? Depuis la fin du XVIIIe siècle, la multiplication des interventions humaines à l’échelle du bassin versant, en lit mineur et en lit majeur ont eu pour effet direct ou indirect de modifier profondément le régime du fleuve en crue et les conditions de mise en eau de la plaine. Une analyse critique de la littérature existante nous a permis d’identifier plusieurs facteurs d’artificialisation de l’aléa hydrologique jouant à l’échelle du bassin versant. La partie suivante traitera quant à elle de la genèse des évolutions sur l’espace du risque proprement dit, à l’échelle du Y lyonnais.