I.2. L’absence d’impact direct des barrages et réservoirs alpestres sur les grandes crues

H. Vivian et ses collaborateurs sont à l’origine de l’essentiel des études sur les impacts hydrologiques des barrages et des réservoirs alpestres (Edouard et Vivian, 1982, 1984 ; Vivian, 1986, 1994 ; Vivian et Pupier, 1996). Concernant les crues s’écoulant dans les vallées alpines, ces travaux concluent à l’absence d’impact sur la formation des événements d’une période de retour supérieure à 10 ans. En effet, les retenues se situent trop en amont dans les têtes des bassins versants ou ont une capacité de stockage bien inférieure aux volumes roulés par une crue exceptionnelle. Ainsi, comme le soulignent A. Marnézy et J.-L. Peiry (2000) : « les grands réservoirs entretiennent donc une fausse impression de sécurité vis-à-vis du risque de crue » et ont favorisé la multiplication des enjeux exposés à l’aléa inondation. Par contre, il semble que les réservoirs puissent avoir un effet régulateur sur les crues de fréquence faible à moyenne (inférieures à la crue décennale) survenant au printemps, lorsque les niveaux des retenues sont au plus bas et peuvent écrêter une partie du débit de pointe (ibid.).

Dans le cadre de l’Etude Globale Rhône, le bureau d’étude Safège a tenté de déceler et caractériser une éventuelle évolution des régimes hydrologiques sur le corridor fluvial du Rhône, en deux approches successives, qualitative puis quantitative. La première a été menée au travers de l’étude de l’implantation des retenues et barrages en amont des stations hydrométriques du Rhône, et leur comparaison avec les variables hydrologiques locales. Il ressort de cette analyse que l’influence des ouvrages hydroélectriques croit d’amont en aval. Trois affluents sont particulièrement équipés, si l’on se base sur le volume des retenues : l’Ain, l’Isère et la Durance. Dans la pratique, l’influence des ouvrages sur le régime est fortement corrélée à la fonction des retenues, en fonction de l’usage qui est fait des volumes stockés. L’irrigation et l’écrêtement des crues ont une influence plus grande que l’hydroélectricité, mais ces deux activités restent minoritaires par rapport à la production d’énergie. Deux ouvrages ont une influence « considérable »165 : Vouglans et Serre-Ponçon. L’influence de Vouglans sur les crues est manifeste : le volume total de la retenue est largement supérieur au débit de période de retour 100 ans, même si une partie seulement de ce volume sert réellement à l’écrêtement des crues. « Le régime des crues à Perrache est sensiblement influencé par le barrage de Vouglans depuis sa mise en service (ce qui est normal, le barrage étant conçu à cette fin). […] A Ternay, le constat est sensiblement le même que celui fait à Perrache, cependant, la part relative de l’influence des aménagements est sensiblement réduite par la Saône, très peu pourvue en barrages et retenues (en dehors bien sûr des barrages de navigation) »166.

L’approche quantitative repose sur le calcul systématique des variables hydrologiques représentatives des pluies et des extrêmes hydrologiques pour trois périodes homogènes du point de vue de l’aménagement du Rhône : 1920-1945 (peu d’aménagements), 1945-1971 (construction de la plupart des aménagements), 1972-98 (état aménagé).

La variabilité entre les périodes est de l’ordre de 5 à 20%, mais il n’a pas été possible de dégager de tendance dans les variations de débits observées, ni d’en identifier clairement les causes anthropiques, l’influence de la variabilité des précipitations restant prépondérante. Afin de pouvoir analyser la part des influences anthropiques, Safège a tenté d’isoler la part de l’influence des précipitations. L’étude des débits ainsi « normés » par les pluies décennales révèle une inversion et une amplification des tendances observées à partir des débits bruts. L’EGR souligne la difficulté de tirer des conclusions claires concernant l’influence des aménagements sur le régime, d’autant plus que les gestionnaires ont refusé de fournir des données précises concernant les volumes disponibles ; cependant elle émet l’hypothèse prudente selon laquelle « l’influence des ouvrages hydroélectriques et de tous les aménagements du fleuve est sensiblement du même ordre que celle induite par l’instationnarité des pluies, mais elle joue en sens inverse167» ; pour autant cette hypothèse est à considérer avec la plus grande prudence.

Notes
165.

EGR, 2001, volet 1, rapport de deuxième étape, volume 3,

166.

EGR, 2001, volet 1, rapport de deuxième étape, volume 3, p. 25

167.

EGR, 2001, volet 1, rapport de deuxième étape, volume 3, p. 34