I.3. Le pouvoir écrêteur du barrage de Vouglans

Le barrage de Vouglans, mis en service en 1968, est donc le seul réservoir du bassin du Haut-Rhône à avoir un impact direct notable sur l’hydrologie des crues. EDF et les Ponts-et-Chaussées ont en effet conçu une retenue à buts multiples permettant de concilier la production hydroélectrique et la réduction du risque d’inondation à Lyon (Agard et al., 1968). Le turbinage des eaux en hiver devait permettre de vider la retenue afin de pouvoir stocker les crues de saison froide. Appliqués aux 14 plus grands événements connus à Lyon entre 1840 et 1857, les calculs montraient un abaissement du maximum de la crue compris entre 70 cm et 1 m près de deux fois sur trois (ibid.). Une « tranche inconditionnelle de crue » de 15 millions de m3 supplémentaires était prévue dans le cahier des charges d’EDF afin de préserver la capacité d’écrêtement dans la période de remplissage du barrage, à l’automne et au printemps. Dans la pratique, le niveau de la retenue est stable de juin à août puis baisse progressivement pour stocker les crues de novembre à février. L’amortissement des grandes crues semble donc pouvoir jouer à l’automne et en hiver. Ainsi le débit de pointe de la crue de février 1990 a-t-il été écrêté de 700 m3/s grâce au barrage : il a été de 3 230 m3/s au pont Morand, soit une période de retour de 10 ans, et aurait été de fréquence cinquantennale sans la présence du barrage (Safège, 2001). La valeur du débit centennal de l’Ain a d’ailleurs évolué : il est aujourd’hui estimé à 2 210 m3/s, contre 2 750 m3/s avant la mise en service de l’ouvrage (ibid.). La construction du barrage du Vouglans est donc très probablement un des facteurs expliquant l’absence de crue forte à Lyon depuis 1957, alors que de nombreux cours d’eau de l’Arc Alpin ont connu une recrudescence des inondations depuis les années 1990. Néanmoins, en l’état des connaissances actuelles, on ne peut exclure un comportement hydroclimatique particulier de cette partie des Alpes.

A l’origine, l’écrêtement des crues était une des vocations affichées lors de la conception de l’ouvrage. Aujourd’hui, la retenue est de facto utilisée à cette fin puisqu’elle est vide à l’automne et absorbe les crues d’hiver. Cependant EDF précise que la fonction d’atténuation des débits extrêmes ne figure pas dans le cahier des charges. Il est vrai que les pouvoirs publics ont toujours affirmé la priorité de la production hydroélectrique sur l’écrêtement des crues ; ces deux fonctions ne sont pas forcément compatibles. Pour pouvoir écrêter les crues de printemps, il faudrait maintenir la retenue à un niveau bas jusqu’en mai. Or, EDF a besoin que la retenue soit pleine à la fin du printemps pour pouvoir d’une part assurer l’appoint estival et d’autre part satisfaire les exigences liées au tourisme et aux loisirs nautiques, défendues par le Conseil Général de l’Ain.