II.2. L’incision des lits fluviaux et la chenalisation des crues

A partir de la deuxième moitié du XIXe siècle, la multiplication des actions humaines à l’échelle du bassin versant et sur l’espace du risque, en lit mineur et en lit majeur, a eu pour conséquence de perturber les modalités du transit de la charge de fond puis de réduire la charge elle-même. Ce déséquilibre a provoqué un ajustement de l’hydrosystème qui s’est traduit par l’incision des lits fluviaux dans la bande active du Petit Age Glaciaire : le Rhône, l’Arve, le Fier, le Guiers et l’Ain se sont incisés au cours du XXe siècle. Cette métamorphose fluviale entraîne l’augmentation de la débitance du chenal et une augmentation de la pente, donc des vitesses. L’abaissement corrélatif des niveaux de crue et l’augmentation des débits de débordement s’accompagnent d’une réduction des volumes stockés dans le lit majeur et d’une accélération du temps de transfert de l’onde de crue :

  • Les travaux d’endiguement insubmersible et submersible effectués dans les plaines de tressage, en Chautagne et dans la plaine de Miribel-Jonage, pour améliorer les conditions de navigation ont concentré les eaux dans le chenal principal. Cela a accru la vitesse et la force tractrice des eaux et a déclenché l’incision du talweg.
  • Plusieurs facteurs sont à l’origine d’une réduction de la charge de fond :
    • Depuis la fin du XIXe siècle, les mutations agricoles et le reboisement du bassin versant du Rhône sont à l’origine d’une protection accrue des pentes qui entraîne une réduction de l’érosion et une diminution des entrées sédimentaires. Ce découplage entre les versants et les talwegs s’explique notamment par les effets de la crise de l’économie de coteau et la conversion herbagère ainsi que par l’action de reboisement des pentes mené par le service de Restauration des Terrains de Montagne (RTM) depuis 1880.
    • Les barrages provoquent une rupture du continuum sédimentaire. Cette situation se retrouve sur le Rhône et dans bon nombre de sous-bassins versants du fleuve. En particulier, le barrage de Génissiat (1947) provoque un affinement de la charge dans la retenue de Seyssel : les éléments les plus grossiers en provenance de l’Arve et de la Valserine sont piégés en amont du réservoir de Génissiat et ne sont pas réinjectés en aval par les chasses du barrage. En Chautagne et sur la rivière d’Ain, l’incision du lit dans les alluvions caillouto-sableuses permet un remaniement du sable grossier, mais cet apport sédimentaire semble être en voie de tarissement.
    • Les extractions massives de granulat pratiquées en rivière après les années 1950 ont largement puisé dans le stock sédimentaire alors même que ce dernier était en voie de tarissement. Elles ont provoqué des déséquilibres locaux et l’ajustement de l’hydrosystème qui s’est traduit par une incision du fond du lit par érosion régressive et progressive à partir des fosses d’extraction.