Les aménagements hydroélectriques de Chautagne, Belley et Brégnier Cordon ont été établis pour l’essentiel dans le champ d’inondation du Rhône (excepté la dérivation de Belley qui emprunte une ancienne vallée glaciaire sur 12 km) de 1980 à 1986 (Bravard, 1985). Afin de garantir la sécurité des riverains ainsi que celle des enjeux situés en aval, la CNR a cherché à maintenir voire à accroître la possibilité d’étalement des crues. Il s’agissait de compenser, sur la base des résultats fournis par des modélisations hydrauliques, l’impact prévisible de l’aménagement : la création de retenues à niveau relativement stable a normalement pour effet d’accélérer la propagation des crues et de réduire leur écrêtement donc d’exhausser les niveaux à l’aval (P. Savey 1982).
Afin d’évaluer l’incidence des aménagements CNR du Haut-Rhône sur l’aléa hydrologique, J.-P. Bravard a procédé à une analyse critique de la littérature existante et à distingué trois grands types d’impacts enregistrés (Bravard, 1985) :
L’accélération du temps de transit des masses d’eau pourrait avoir des répercussions sérieuses sur le risque d’inondation en aval du confluent de l’Ain, en augmentant et le risque de concomitance entre le flot de crue du Haut-Rhône et celui de son tributaire jurassien. Normalement, le maximum de l’Ain possède une certaine avance sur celui du Rhône supérieur, sauf en cas de crue double, du type de 1856 ou 1944, où la pointe du fleuve se conjugue avec un deuxième flot de l’Ain lié à des précipitations durables. On peut craindre que l’avance de l’onde de crue causée par les aménagements fluviaux du Haut-Rhône tende à rendre les crues doubles plus systématiques ou plus fréquentes (Bravard et al., 1995). Si cette hypothèse était vérifiée, la durée des crues en aval de Loyettes se trouverait augmentée, à l’instar de la crue de 1990 qui fut une crue longue, et on risquerait d’enregistrer une réduction supplémentaire de la capacité d’écrêtement de la plaine de Miribel-Jonage. On a vu que la plaine de Miribel-Jonage a elle aussi enregistré une réduction importante de la capacité de stockage des crues168. Nous ne détaillerons pas ici les facteurs multiples d’explication de l’évolution de l’aléa dans ce secteur, qui seront analysés dans la partie suivante169. Retenons seulement que cette évolution résulte elle aussi de perturbations anthropiques et contribue à la diminution de l’écrêtement du pic de crue du Rhône amont. En effet, la simulation de l’événement décennal de 1990 réalisée par la CNR a montré qu’un régime permanent s’établit après le remplissage de la plaine, si bien que le champ d’accumulation n’accumulerait plus d’eau (CNR, 1993). Ainsi, la réduction de la pointe de la crue de 1990 n’aurait été que de 25 m3/s, ce qui est particulièrement faible.
La simulation de différents scénarios de crue dans la configuration actuelle, réalisée par la CNR dans le cadre de l’Etude globale Rhône (2002), a permis de faire le point sur les modalités de propagation des crues du Rhône et d’identifier le rôle joué aujourd’hui par chaque zone inondable dans l’écrêtement des crues du fleuve.
Le temps de déplacement de la pointe pour les crues moyennes à très fortes du Rhône est de 30 à 40 heures de la frontière suisse à Lyon Perrache (171 km depuis la station de Pougny). La crue se propage rapidement dans les gorges du Haut-Rhône (avec une vitesse moyenne de 15 km/h), puis se ralentit ensuite dans la traversée des plaines intramontagnardes, dans lesquelles les vitesses sont comprises entre 3 et 5 km/h. Plus la crue s’étale dans les plaines inondables, plus le temps de déplacement de l’onde de crue est ralenti. Par ailleurs, l’analyse des hydrogrammes synthétiques monofréquence des Vieux-Rhône montre que les aménagements CNR ont une réelle incidence sur les crues des Vieux-Rhône, bien que l’artificialisation du régime soit inversement proportionnelle à la période de retour considérée. La durée des crues dans les tronçons court-circuités est bien inférieure à celle des Rhône « entiers » : « la montée des crues est un peu plus rapide dans les Vieux Rhône, du fait qu’une partie des débits est turbinée, et la décrue est beaucoup plus rapide, du fait qu’une part très significative de la traine de l’hydrogramme total est turbinée » (CNR, 2002, p. 17).
Nous avons comparé les superficies théoriquement inondables dans la situation actuelle issues des résultats de cette modélisation hydraulique avec les surfaces inondées en 1856 fournies par les cartes de l’Atlas du Cours du Rhône des Ponts-et-Chaussées, afin de mesurer quelle a été l’évolution du champ d’inondation depuis 150 ans. Pour l’ensemble du Haut-Rhône, les surfaces théoriquement inondables lors d’une crue forte (4470 m3/s à Perrache), d’un débit proche de celui de 1856 (4 500 m3/s au pont Morand), se portent aujourd’hui à 143,89 ha, contre environ 250 ha en 1856, ce qui équivaut à une réduction de plus de 40% du champ d’inondation.
cf. partie III, point III.3.b
cf. partie IV, point III