II.5. Les conséquences du remblaiement du Val de Saône sur le temps de transfert et les niveaux à Lyon

L’emprise cumulée de multiples remblais a réduit la capacité de stockage des crues, ce qui provoque une augmentation du débit de pointe, un exhaussement des lignes d’eau et une accélération du temps de transfert de l’onde de crue vers l’aval. Aux emprises des constructions particulières édifiées en zone inondable s’ajoutent celles des remblais destinés à l’implantation de zones industrielles ou récréatives (en particulier à Chalon, Mâcon, Villefranche, Anse, et Neuville-Genay) et les infrastructures autoroutières et ferroviaires dont les levées s’élèvent de 3 à 8 m (la ligne TGV, l’autoroute A36 Beaune-Mulhouse à Seurre, l’autoroute A46, les contournements de Chalon, Mâcon et Lyon). Dans l’état des connaissances actuelles, il est difficile d’estimer l’ampleur de l’impact des remblais qui encombrent le lit majeur. La modélisation hydraulique des crues caractéristiques de la Saône dans la situation actuelle commandée au bureau d’étude Hydratec permettra probablement d’apporter des éléments de réponse, et fournira une partie des éléments nécessaires à un diagnostic chiffré des évolutions.

On dispose néanmoins d’une estimation réalisée dans la période 1970-84 de l’impact attendu du retrait de surfaces plus ou moins importantes au champ d’expansion des crues de la Saône sur le niveau des crues et le temps de transit des masses d’eau. Le SNRS a fait réaliser plusieurs études successives pour déterminer le « parc » maximum de remblais disponibles pour la construction de zones industrielles et portuaires entre Auxonne et Lyon sans porter atteinte à la capacité de stockage du lit majeur de la Saône, afin de ne pas aggraver les niveaux dans Lyon et sur le Bas-Rhône. Pour différents scénarios de crue, le bureau d’étude Sogreah a ainsi testé sur modèle mathématique plusieurs hypothèses de réalisation de zones industrielles et portuaires afin de déterminer l’incidence des remblaiements sur les modalités de mise en eau des fortes crues connues : celles de 1910 (2400 m3/s à Couzon, soit une fréquence environ vicennale), 1955 (2823 m3/s à Couzon, soit une période de retour comprise entre 50 et 70 ans), et 1970 (2194 m3/s, soit un débit environ décennal) (Sogreah, 1970, 1984 et 1985b). Les résultats tiennent compte de la réalisation des mesures compensatoires prévues avec chaque projet. Aux stations de Thoissey, Trévoux et Lyon La Feuillée, quelque soit la crue considérée, les volumes soustraits du champ d’inondation augmenteraient le débit maximum et accélèreraient la propagation de la crue. Cela provoquerait une aggravation de la situation non seulement des riverains de la Saône, en particulier de l’agglomération lyonnaise, mais aussi une péjoration des conditions alors en vigueur sur le Rhône aval, puisque le passage plus précoce des crues de la Saône à Lyon, dont le débit maximum serait d’ailleurs augmenté, se conjuguerait avec un Rhône encore relativement haut. L’aggravation de l’aléa serait plus importante en cas de crue rapide, du type de celle de 1910, que pour les crues plus lentes comme celle de 1955. Par ailleurs, elle ne serait pas proportionnelle à l’importance des remblais mais augmenterait de façon exponentielle.

L’étude fait ressortir l’existence d’un seuil de 2 000 ha (soit 5,5 % du champ d’inondation de la crue de 1955 entre Auxonne et Lyon) en-deçà duquel l’impact sur la capacité d’écrêtement et d’étalement reste limité. Ce volume correspond justement aux prévisions du schéma d’aménagement et d’urbanisme de la Saône pour l’horizon 2010, et provoquerait à Trévoux une hausse de 4 et 7 cm et une avance de 4 et 8 heures pour une crue semblable respectivement à celle de 1955 et de 1910. Pour les mêmes crues à Lyon, on observerait une élévation de 3 et 7 cm et une avance de 1 et 3 heures. Comme le souligne le SNRS suite à la parution des résultats : « il s’agit donc pour la puissance publique de gérer ces 2000 ha entre Auxonne et Lyon. Au-delà de ce « parc », des remblaiements (même modestes) aggraveraient la situation de plus en plus vite au fur et à mesure de leur réalisation » 170. Il convient de préciser que ces estimations ne concernent que les remblais industriels et ne tiennent pas compte de la multiplication des emprises liées au développement des constructions individuelles, qui viennent s’ajouter au volume soustrait au champ d’expansion des crues. On saisit ici tout l’enjeu de la mise en place du zonage réglementaire et de son observation stricte afin de limiter la réduction des volumes stockables dans la plaine.

Jusqu’à une période récente, la mise en œuvre de mesures compensatoires lors de l’édification de remblais importants était uniquement envisagée sous l’angle du bon écoulement des crues. En d’autres termes, les services de l’Etat ont veillé à ce que les remblais ne provoquent pas de rétrécissement de la section d’écoulement et ne forment pas d’obstacle à l’écoulement des crues, mais la réduction des volumes stockables dans le lit majeur a été tolérée. Depuis l’arrêté du 13 février 2002 fixant les prescriptions générales applicables aux installations « ouvrages ou remblais » soumis à déclaration, les volumes soustraits au champ d’inondation doivent obligatoirement être compensés afin de conserver la même capacité de stockage lors des grandes crues. Par ailleurs, les ouvrages doivent être transparents jusqu'aux conditions hydrauliques de la plus forte crue historique connue ou celle de la crue centennale si celle-ci lui est supérieure. Les DIREN ont ainsi veillé à ce que les SDAGE imposent des mesures compensatoires pour chaque nouveau remblai réalisé en lit majeur.

Notes
170.

Archives SNRS, C X5-13, note de synthèse sur le modèle mathématique de la Saône, oct. 1976