Quatrième partie. La protection d’un territoire en développement. Evolution du statut des marges et vulnérabilisation

Lyon sort du XIXe siècle dotée d’un très beau système de digues dont l’efficacité doit être garantie par la préservation du champ d’inondation autour de ce « rempart » de protection. La loi de 1858 vise à la protection complète et définitive des villes fluviales, en particulier de Lyon, mais elle s’applique à une ville qui n’a pas grandi, et le respect des principes prudents et avisés de cette législation entre rapidement en conflit avec la logique irrépressible de la croissance urbaine. On a vu en effet que la ville s’est considérablement développée au sein du lit majeur ces cent-cinquante dernières années. A mesure que la ville s’est étendue dans le « Y lyonnais », quels ont été les termes de la gestion du risque d’inondation ? Celle-ci a-t-elle planifiée ou gérée au coup par coup ? A-t-elle été concertée ou conflictuelle ?

Il est probable que le développement des enjeux urbains au-delà des limites du plan Kleitz ait suscité une demande de protection de la part des habitants des nouveaux quartiers. Comment et dans quelle mesure les acteurs des espaces récemment urbanisés obtiennent-ils satisfaction, autrement dit qu’est-ce qui sous-tend la prise de décision d’une protection ou son absence ? Quelle a été la position de l’Etat, mu par la volonté de promouvoir l’urbain, perçu comme vecteur de progrès, mais garant en même temps de la bonne observation des principes réglementaires visant au maintien du bon écoulement des crues et à la pérennité de la protection des lieux concernés par les décrets d’application ayant décidé des travaux de défense mis en œuvre dans la deuxième moitié du XIXe siècle ? Les édiles lyonnais ont-ils été soucieux de préserver le dispositif de défense mis en œuvre après 1856, ou ont-ils donné la priorité à l’essor urbain sans s’inquiéter des conséquences potentielles sur l’aggravation du risque au cœur de la ville elle-même ?

En définitive, l’urbanisation du corridor fluvial semble s’être faite en dépit de la loi de 1858, dont on redécouvre aujourd’hui la modernité. Mais y a-t-il réellement eu une inconscience de la part des différents acteurs, qui conduirait à une aggravation inconsidérée mais au combien prévisible du risque, ou n’y aurait-t-il pas plutôt eu une évolution des politiques de gestion, une adaptation du principe du maintien du bon écoulement des crues censée garantir la sécurité des enjeux urbains ? C’est une des hypothèses que nous allons chercher à vérifier dans les pages qui suivent. Mais alors, pourquoi la problématique de gestion des inondations aurait-elle disparu ?

Face à la croissance urbaine, comment le risque a-t-il évolué puisque la ville empiète sur les zones inondables ? La situation contemporaine du risque, en particulier la fréquence actuelle de l’aléa auquel les différents secteurs qui bénéficient d’une protection plus ou moins importante sont exposés, correspond-elle aux crues de projet prises en compte lors de la mise en place des mesures de défense, ou est-ce que la revanche des ouvrages s’est accrue ou réduite, ce qui impliquerait que l’aléa a été modifié par les actions humaines ? Les actions humaines réalisées en lit mineur et en lit majeur connaissent un développement massif à partir du milieu du XIXe siècle. Il est très probable que ces dernières interagissent avec l’hydrosystème et modifient le risque. L’évolution que nous avons diagnostiquée dans la partie précédente a-t-elle été linéaire ou rythmée au contraire par des pulsations, voire des tendances contraires, au cours de la période ? Quels en sont les facteurs d’explication ? Comment comprendre, en particulier, l’évolution surprenante et non moins préoccupante du champ d’inondation et de sa capacité d’écrêtement en amont de Lyon ? Que dire alors de la perception du risque par les différents acteurs ?

Nous allons procéder dans cette dernière partie à une étude territoriale afin de saisir les modalités et les spécificités de la gestion du risque dans chacun des sous-systèmes que nous avons identifiés précédemment. Nous nous intéresserons, dans une perspective diachronique, au jeu d’acteurs qui s’y tient afin de mieux comprendre les enjeux de la gestion, contemporains et hérités, et d’interroger la pertinence d’un de nos postulats de départ qui suppose l’existence d’un gradient pôle d’activité/pôle de passivité vis-à-vis des inondations en fonction de la proximité au cœur urbain. Là encore, nous nous intéresserons aux interactions spatio-temporelles entre l’hydrosystème, l’urbanisation et les aménagements qui en découlent, et le risque.