Chapitre 1. Extension du cœur urbain et prolongement du rempart de protection

I. Un système progressivement renforcé qui donne à la ville un sentiment de sécurité

I.1. Le comblement des points bas des quais de la rive droite du Rhône (1929)

L’efficacité du rempart hérité du plan Kleitz, prolongé ensuite vers l’amont et, surtout, vers l’aval, est éprouvée avec relativement de succès lors de la crue du Rhône du 17 février 1928171. Dans l’ensemble, cet événement centennal confirme la fiabilité de la protection, et permet de renforcer certaines lacunes. Sur les quais de la rive droite, la crue a révélé un certain nombre de points bas au niveau des ouvertures ménagées dans les parapets pour les entrées des escaliers et des rampes d’accès aux bas-ports. Les points les plus bas, au niveau du quai Saint-Clair et vers la rampe amont du pont Wilson, n’ont conservé qu’une faible revanche (de 36 à 42 cm) sur le niveau atteint par la crue qui s’est pourtant tenu 15 cm en-dessous du maximum de 1856172. Localement, les hauteurs ont cependant été plus importantes qu’en 1856, du fait du remous causé par le pont Wilson, achevé en 1924 (ibid.). Rappelons que l’objectif de protection défini par l’ingénieur en chef Kleitz visait une revanche de 1 m sur le niveau de la crue de 1856 justement obtenue grâce aux parapets dont les ouvertures devaient pouvoir être fermées par un système de batardeaux en cas de crue importante. Il est étonnant de constater que cette dernière mesure semble avoir disparu aujourd’hui. Les archives que nous avons consulté restent muettes sur cette question ; il faut probablement y voir une conséquence de la baisse de vigilance des lyonnais due à la perte de conscience du risque d’inondation. Toujours est-il que le maintien d’ouvertures dans les parapets des quais abaisse la marge de sécurité définie il y a cent-cinquante ans. Cela est encore plus vrai pour les quais de la Saône, comme nous allons le voir.

En cas de crue plus forte que celles connues jusque-ici, ou en cas d’exhaussement des hauteurs atteintes pour un débit identique, ces lacunes pourraient donc représenter un danger pour la protection de la ville. Rappelons en effet qu’on déplorait un exhaussement constant du niveau atteint par les crues au moins depuis le XIXe siècle, ce qui fit d’ailleurs écrire à l’ingénieur Kleitz en 1856 que les villes étaient condamnées à exhausser sans cesse le niveau de leur protection173. Il est difficile de savoir dans quelle mesure le dépassement constant des niveaux records atteints par les eaux au cours de la première moitié du XIXe siècle était dû à l’impact des endiguements récemment réalisés ou à l’occurrence de crues de débit plus importants, puisque les mesures permettant d’évaluer les débits maximum instantanés remontent justement au milieu du XIXe siècle. Néanmoins, c’est précisément pour éviter une aggravation du risque dans les secteurs à enjeu urbain du fait des endiguements et en prenant acte de l’effet pervers d’un endiguement généralisé, que la loi du 28 mai 1858 posa le principe de l’intangibilité du lit majeur à l’amont des grandes villes. Cette préoccupation demeure dans les années 1920 : on verra que le Service Spécial du Rhône craignait à l’époque que l’extension de la ville dans le lit majeur au-delà des limites urbaines du XIXe siècle, ainsi que la volonté des acteurs locaux d’étendre la protection contre les crues aux nouveaux quartiers, ne provoquent une aggravation des hauteurs d’eau dans les secteurs déjà endigués et ne menacent l’efficacité du rempart de quais et de digues existants. Il importait donc de ménager une revanche suffisante pour pouvoir « absorber » dans une certaine mesure ces modifications.

Le Service Navigation dresse donc immédiatement un projet d’exhaussement de ces ouvertures afin d’obtenir une revanche minimum de 66 cm au-dessus de la cote de 1928, soit 50 cm au-dessus de la crue de 1856. Les points les plus bas sont ainsi relevés de 30 cm, la différence de niveau avec la promenade étant comblée par un remblai174. Ces derniers travaux effectués sur les quais de Lyon complètent ceux déclarés d’utilité publique par le décret du 24 août 1859 au nom de la protection de Lyon contre les inondations, et exécutés de 1859 à 1863. La dépense est évaluée à 25 000 francs, partagée à frais communs entre le Trésor et la ville de Lyon. Ces dispositions ayant été approuvées par délibération du conseil municipal de Lyon du 25 mars 1929, l’exécution des travaux est autorisée par décision ministérielle le 1er août 1929. L’entreprise est achevée dès 1930.

La même année, la digue de la Vitriolerie est également consolidée, indirectement cette fois, dans le cadre de la création de l’Avenue Leclerc. Elle est légèrement exhaussée et élargie dans sa partie amont par la suppression du rentrant du Rhône en aval du viaduc SNCF ; dans cette section rectifiée, la digue est soutenue par un mur droit. Mais c’est surtout la digue insubmersible des Brotteaux qui fait l’objet d’un renforcement lors de la construction du Boulevard Laurent Bonnevay en 1937 : le remblai est élargi de 8,5 m à 38 m en couronne, de part et d’autre de l’ancienne digue (10 m côté Rhône et 20 m vers l’intérieur des terres), et est soutenu de part et d’autre par un mur en béton175. L’impact de cet empiètement de 10 m est alors considéré comme négligeable, compte-tenu de la largeur du lit majeur dans cette section.

Notes
171.

En fév. 1928, le Rhône à Lyon a roulé 4 150 m3/s et atteint la cote de 6,1 m au pont Morand ; la période de retour de cette crue est de 100 ans environ ; auparavant, quatre crues notables d’une période de retour comprise entre 20 et 50 ans sont survenues sans menacer le rempart du plan Kleitz : déc. 1882 (3 900 m3/s environ et 5,77 m au pont Morand), janv. 1899 (3 800 m3/s et 5,53 m), janv. 1910 (3550 m3/s et 5,58 m) et déc. 1918 (4 150 m3/s et 6,1 m).

Rappelons que la crue de mai-juin 1856, de période de retour environ 150 ans, a eu un débit maximum instantané de 4 500 m3/s et a atteint 6,25 m au pont Morand ; selon M. Pardé (1925), la hauteur maximum aurait été de 6,4 m sans la rupture des digues de la rive gauche.

172.

Archives SNRS, C 1311 II, D 7439 : Inondations, demandes d’indemnités et de travaux ; L5 : commune de Lyon, rapport de l’ingénieur en Chef du SN Pascalon, 27 juin 1929

173.

Cf. partie II chap.3 III. 3, avant dernier paragraphe

174.

Archives SNRS, C 1311 II, D 7439 : Inondations, demandes d’indemnités et de travaux ; L5 : commune de Lyon, rapport de l’ingénieur en Chef du SN Pascalon, 27 juin 1929

175.

Archives du SNRS, C146-4, D852