I.2. Une protection jugée suffisante par la ville de Lyon

Si les points faibles de l’endiguement sont renforcés localement sur le Rhône, la protection reste plus imparfaite sur la Saône. Pour autant, à partir des années 1930, la ville ne semble plus craindre l’inondation, et cette question n’est plus de l’ordre de ses préoccupations. En 1932, dans le cadre du plan d’aménagement, d’extension et d’embellissement de Lyon dressé par l’Ingénieur en Chef de la Ville C. Chalumeau, et proposé par le maire E. Herriot, le Service Navigation s’étonne qu’aucune mesure d’amélioration de la défense contre les inondations ne soit intégrée au programme qui concerne pourtant de nombreux secteurs situés en zone submersible. Un rapport présenté en 1936 par le Service Ordinaire des Ponts-et-Chaussées du département du Rhône a en effet pointé certaines lacunes de la protection de Lyon contre les inondations176. On a déjà dit que la revanche du rempart de la Saône sur la crue rectifiée de 1840 est moins importante que celle de la ligne de défense des quais du Rhône sur le maximum de 1856, et on a vu que Lyon reste menacée du fait de ces lacunes. Les ingénieurs soulignent les points faibles de l’endiguement : rue Marietton et Montée de l’Observance en rive droite, passage Gonin en rive gauche, le parapet est arasé à peu près au niveau de la crue de 1840 rectifiée. Surtout, les ouvertures des escaliers et rampes sont en bien des points au-dessous de ce repère ; localement, ils sont même encore au-dessous de la crue de la Saône de 1856, de période de retour 70 ans. Mais le débordement direct à partir des points les plus bas est dans tous les cas devancé par l’inondation indirecte des chaussées par infiltration177. Sur la base de ce constat, le Service Navigation propose à la Ville de réaliser une étude de détail afin de renforcer la protection de la Saône178.

Mais les édiles locaux considèrent que les travaux de 1859-64 ont été suffisamment importants, et précisent que c’est volontairement qu’aucune mesure d’amélioration de la protection n’a été envisagée, y compris concernant la question des inondations par infiltration : « de très importants travaux de protection ayant été exécutés à Lyon après les crues de 1840 et 1856, nous estimons qu’il n’y a pas lieu au titre de la ville de Lyon de prévoir actuellement la construction de nouveaux ouvrages. Nous ne saurions d’autre part imposer à l’Etat l’établissement de mesures nouvelles de protection contre les crues » 179. Toute nouvelle initiative en la matière est laissée aux services de l’Etat : « la Ville croit devoir laisser au Service compétent, qui a dans ses attributions les fleuves, les bas-ports et les quais, le soin de prendre toutes les mesures utiles pour éviter toute réduction des possibilités d’écoulement des eaux du fleuve » 180. Or il faut préciser que, en dehors des travaux prescrits dans le cadre de la loi de 1858, l’Etat n’a aucune obligation légale en matière de protection de la population contre les crues181 ; il encadre les travaux d’endiguement et peut les subventionner, mais sa responsabilité légale n’est pas engagée en cas d’inondation des lieux habités. Rien ne sera donc fait sur ce point malgré l’avis du Service Navigation, qui rappelle d’ailleurs que le projet d’E. Herriot concerne plusieurs secteurs situés justement en zone submersible. De fait, la priorité des élus locaux est désormais l’extension de Lyon, et c’est sur la protection de ces secteurs nouvellement urbanisés que va se porter leur attention, non sans susciter des conflits avec l’administration technique en charge de veiller à la non aggravation de l’aléa d’inondation à l’échelle du bassin versant.

Notes
176.

Archives SNRS, C 1311 II, D 7439 : Inondations, demandes d’indemnités et de travaux ; L5 : commune de Lyon,rapport du Service Ordinaire des Ponts-et-Chaussées du département du Rhône des 25 nov.-12 dec. 1936 cité par l’Ingénieur en Chef du SNRS dans son rapport sur le projet d’aménagement, d’embellissement et d’extension de la ville de Lyon du 29 décembre 1936

177.

Ibid.

178.

Archives SNRS, C 1311 II, D 7439 : Inondations, demandes d’indemnités et de travaux ; L5 : commune de Lyon, rapport sur le projet d’aménagement, d’embellissement et d’extension de la ville de Lyon du 29 décembre 1936

179.

Archives SNRS, C 1311 II, D 7439 : Inondations, demandes d’indemnités et de travaux ; L5 : commune de Lyon, Maire de Lyon, réponse aux observations présentées par les différents services sur le plan d’extension de la ville de Lyon, 20 janvier 1938

180.

Archives SNRS, C 1311 II, D 7439 : Inondations, demandes d’indemnités et de travaux ; L5 : commune de Lyon, Maire de Lyon, courrier adressé au Préfet du Rhône le 21 avril 1939

181.

L’obligation de l’Etat en vertu de la loi de 1858 puis de celle de 1935 sont de veiller à la préservation du bon écoulement des eaux ; depuis 1982, l’Etat a une obligation d’information via l’affichage du risque.