II.2.a. La sensibilisation des acteurs à la vulnérabilité de Gerland : le rôle des inondations de 1896

Suite aux inondations répétées de 1896, les habitants des quartiers de La Mouche et des Brotteaux Rouges demandent à être protégés contre les crues du fleuve, au même titre que les autres quartiers lyonnais. Ces localités ouvrières, comprises entre la voie du chemin de fer Paris-Lyon-Marseille, le Rhône et le mur d’enceinte de Saint-Fons, ont en effet été inondées à cinq reprises au cours de cette même année, en particulier en mars et en surtout en novembre, date à laquelle la crue atteint dans ce secteur la même cote qu’en 1856 (164,02 m Bourdaloue). En plus d’avoir détruit les récoltes, endommagé les chemins et les habitations, la présence de l’eau a paralysé les industries pendant trois semaines, condamnant les ouvriers au chômage technique.

Un plan joint au rapport de l’Ingénieur en Chef Girardon sur un projet d’endiguement de la Vitriolerie à Saint-Fons indique les limites et la nature de l’inondation de novembre 1896 en rive gauche du Rhône, dans les quartiers de La Mouche, des Brotteaux Rouges et à Saint-Fons184. L’observation de cette carte permet de comprendre les modalités de mise en eau de ce secteur. Les terrains se situent en moyenne à plus d’un 1 m en contrebas du niveau des crues extraordinaires, le terrain naturel se trouvant près de 2 m sous le niveau des plus hautes-eaux, tandis qu’un certain nombre de chemins vicinaux ont déjà été exhaussés, parfois à une cote insubmersible. Ainsi le chemin vicinal n°21 est-il hors d’eau en 1896, tout comme ceux de Gerland, de la gare au Rhône et du Moulin à Vent à Gerland. Par ailleurs, plusieurs terrains industriels situés entre le Rhône et le chemin de la Vitriolerie à Saint-Fons ont été remblayés et sont désormais à l’abri des inondations : deux parcelles en amont de la digue des Rivières, dont une abritant une usine à vidanges, les terrains des chantiers à bateaux et une parcelle abritant une fabrique, remplacée plus tard par une usine de produits chimiques, à l’amont de l’actuelle rue Jean-Pierre Chevrot. Les terrains situés à l’aval de l’Arsenal (remplacé depuis par des ateliers de construction), inondés en 1856, ont eux aussi été remblayés pour accueillir le Parc d’Artillerie, qui est hors d’eau à la fin du XIXe siècle.

Les inondations dans ce secteur ont trois causes principales :

  • Le débordement direct par surverse le long du chemin vicinal de Lyon à Saint-Fons, submergé par 30 cm d’eau en deux points bas situés entre les terrains remblayés, et par débordement direct au droit de l’Ile de l’Archevêque, dans le secteur où le terrain est encore à son niveau naturel.
  • Le reflux à partir des égouts, dont l’exutoire se situe à l’aval de la digue des Rivières, qui a causé l’inondation d’un secteur abritant une usine à gaz et bordé de chemins insubmersibles : le chemin vicinal n’21 au nord, qui longe le Parc d’Artillerie, la voie ferrée PLM à l’est, le chemin vicinal de Gerland à l’ouest et, au sud, le chemin reliant l’Hospice Saint-Jean de Dieu à la ferme d’Ainay.
  • Enfin, tous les terrains non remblayés, y compris à Saint-Fons, sont indirectement inondés par l’infiltration des eaux à travers le sable et le gravier du sous-sol, et par retour ou reflux à partir de la borne kilométrique n°1 (en face du barrage de La Mulatière).

Dans sa délibération en date du 12 novembre 1896, le Conseil Municipal du troisième arrondissement de Lyon signale les dommages subis par ce quartier, et souligne la nécessité de défendre le sud de la ville. La requête de la municipalité est relayée par le Préfet du Rhône qui demande au Service Spécial de dresser un premier projet sommaire de protection185. Cette démarche répond à une demande croissante de protection de la part de la population ; en décembre 1896, 142 habitants de ce secteur adressent une pétition à l’Administration, dans laquelle ils déplorent leur situation et demandent à bénéficier de la même protection que le reste de la ville, par le prolongement de la digue de la Vitriolerie jusqu’à celle de Saint-Fons :

‘« Aujourd’hui La Mouche est un quartier, et un quartier populeux, ouvrier, qui mérite toute la sollicitude de nos Administrateurs.
La nécessité absolue, urgente, s’impose d’une protection contre le terrible fléau qui nous plongea dans la misère en 1876, 1892, 1896, etc., pour ne parler que des plus gros désastres.
La Mouche, cette partie du territoire lyonnais, doit être protégée comme la ville de Lyon l’a été après les grands désastres de 1856. Un quai, une digue ; ce que nous venons vous demander c’est l’établissement d’un barrage insubmersible. […] une simple digue maçonnée, solide, protégeant les habitations, les usines, les récoltes et les habitants.
[…] nous sommes Lyonnais, compris dans le rayon de l’Octroi, payant charges et impôts comme dans le centre de la ville, ne serait-il pas juste que, au moins, nous soyons protégés contre les eaux de nos fleuves ? Un seul point de territoire de la deuxième ville de France doit-il être submersible à la moindre crue ? Non !...et certainement cette réponse est dans tous vos cœurs. » 186

Par une lettre en date du 30 janvier 1897, la municipalité appuie la demande de ses administrés auprès de la préfecture, qui relance le Service Spécial du Rhône, sollicitant à nouveau la construction d’une digue ou d’un quai insubmersible187.

Notes
184.

Archives du SNRS, C1311 II, D. 7439, L5, rapport du Service Spécial sur la construction d’une digue ou d’un quai en prolongement du quai de la Vitriolerie, 24 mai 1898

185.

Archives du SNRS, C1311 II, D. 7439, L5, Maire de Lyon, courrier en date du 18 novembre 1896 adressé à l’Ingénieur en Chef Girardon

186.

Archives du SNRS, C1311 II, D. 7439, L5

187.

Archives du SNRS, C1311 II, D. 7439, L5, lettre du Préfet du Rhône adressée à l’Ingénieur en Chef du Service Spécial du Rhône, 5 février 1897