II.2.b. Un projet d’endiguement insubmersible entre la Vitriolerie et Saint-Fons remplacé par une protection contre les crues moyennes (1898)

En réponse à la pression des élus locaux, l’Ingénieur en Chef du Service Spécial H. Girardon élabore un projet de défense du quartier de Gerland tout en soulignant les limites et les inconvénients d’une telle entreprise188. Bien qu’il reconnaisse l’importance des enjeux qu’on propose de soustraire à la contrainte d’inondation, Girardon insiste sur la nécessité de préserver les zones inondables sous peine d’aggraver le risque dans le reste de la plaine. Soustraire ce secteur au champ d’expansion des crues du Rhône entraînerait le relèvement du plan d’eau en amont, réduisant d’autant la revanche des quais dans la traversée de Lyon, et aggraverait par ailleurs le risque sur la rive droite du Rhône, à Oullins et La Mulatière. Pour estimer la valeur de l’exhaussement induit, Girardon se réfère aux observations faites à l’amont du viaduc de Saint-Clair suite à la construction du quai de la Tête d’Or, où le relèvement de la ligne d’eau en crue a été de 50 cm. Il souligne que les conséquences de l’endiguement de La Mouche seraient bien plus dommageables, d’une part parce que l’impact de cet aménagement se ferait sentir dans la ville elle-même, d’autre part parce que le rétrécissement envisagé se situe au droit du confluent du Rhône et de la Saône, dans un secteur où le débit du Rhône est gonflé par les apports de son affluent.

Malgré ces réserves, le Service Spécial a obéi aux injonctions du Préfet et mis à l’étude le projet de défense demandé. La solution la plus pratique et la plus économique consisterait en un exhaussement du chemin de la Vitriolerie à Saint-Fons sur 1,5 km, entre la digue de la Vitriolerie et l’extrémité aval de la digue des Rivières, complété à l’aval par l’édification d’une digue insubmersible de 4,5 m de haut et 6 m de large, longeant la berge sur les 2,4 km restant jusqu’au mur d’enceinte de Saint-Fons. L’ensemble serait couronné à 6,6 m au-dessus de l’étiage, soit 1 m au-dessus de la cote atteinte en 1856, comme pour le rempart de protection du plan Kleitz. Le coût des travaux d’endiguement, compte non-tenu de la dépense nécessaire à l’achat des terrains, est estimé à 1,5 millions de francs. Pour supprimer l’inondation par reflux à partir des égouts, il faudrait déplacer leur exutoire vers l’aval, en un point suffisamment éloigné pour que la cote des plus hautes eaux y soit inférieure à la cote des terrains à protéger, c’est-à-dire prolonger les égouts de deux kilomètres vers l’aval ce qui occasionnerait une dépense supplémentaire de 1 million de francs. Enfin, l’ensemble de ces mesures, pour onéreuses qu’elles soient, laisserait en-dehors de la nouvelle enceinte de protection l’ensemble des industries de Saint-Fons, aussi densément peuplées que le secteur de La Mouche-Brotteaux Rouges. En outre, cela ne permettrait pas de supprimer l’inondation par infiltration : seul un remblaiement des terrains à un niveau suffisant pourrait mettre l’ensemble à l’abri des eaux, ce qui n’est à l’époque pas envisageable aux yeux des ingénieurs du Service Spécial du Rhône (on verra plus loin que la solution du remblaiement pour mettre hors d’eau les enjeux industriels sera finalement massivement employée au sud de Lyon cinquante ans plus tard). Autrement dit, l’entreprise permettrait seulement de supprimer les courants de crue qui se forment en aval de la digue de la Vitriolerie.

Insistant sur le fait que « la dépense à faire est hors de proportion avec les avantages à obtenir, car si l’inondation a causé des dommages incontestables, elle n’a pas causé de désastre » 189 , Girardon propose une mesure plus modeste qu’il juge tout aussi efficace : un exhaussement du chemin de la Vitriolerie à Saint-Fons de 40 cm afin de casser le courant sans entamer le champ d’expansion des crues (la hauteur de l’exhaussement du chemin prévue dans le projet d’endiguement insubmersible n’est pas précisée, mais elle devait être d’au-moins deux mètres, voire plus dans les points les plus bas, ce chiffre correspondant à la hauteur d’eau qui avait recouvert le terrain naturel de La Mouche en 1856 et 1896. Et si l’on calcule une revanche de 1 m sur le niveau de la crue de 1856, l’exhaussement devait être de 3 m). Enfin, l’Ingénieur en Chef souligne que « la seule mesure véritablement efficace pour les immeubles qui sont exposés à souffrir de l’inondation serait, quand on les construit, de relever le sol de leur rez-de-chaussée au-dessus des crues » 190 .

Finalement, le Préfet se rendra à l’avis du Service Spécial du Rhône, et l’endiguement insubmersible projeté ne sera pas réalisé, du moins pas encore complètement. Le chemin de la Vitriolerie à Saint-Fons est exhaussé de 40 cm sur environ 4 km, entre la digue de la Vitriolerie et le mur d’enceinte de Saint-Fons. La protection est ainsi calée 10 cm au-dessus du niveau de la crue de 1856 entre la Vitriolerie et l’extrémité amont de la digue des Rivières (au niveau de l’actuelle rue Jean-Pierre Chevrot), le long du quartier de la Mouche, mais est plus imparfaite à l’aval de la borne kilométrique n°1 (en face du barrage de la Mulatière), en bordure du quartier des Brotteaux Rouges, qui reste inondable pour les crues fortes bien que le courant de ces dernières soit fortement atténué (photo 19 et 20 p. 315).

Notes
188.

Archives du SNRS, C1311 II, D. 7439, L5, rapport sur la construction d’une digue ou d’un quai en prolongement du quai de la Vitriolerie, 24 mai 1898

189.

Archives du SNRS, C1311 II, D. 7439, L5, rapport sur la construction d’une digue ou d’un quai en prolongement du quai de la Vitriolerie, 24 mai 1898

190.

Ibid.