II.3.c. Protection du quartier des Brotteaux Rouges : le quai Fillon

La logique de la croissance urbaine au sein du corridor fluvial va se poursuivre au XXe siècle, et entraîne alors une volonté de protection des nouveaux enjeux par les édiles locaux qui finissent par obtenir le prolongement du rempart de protection.

Dans les années 1920, la Ville de Lyon réussit à obtenir l’aval du Préfet du Rhône pour édifier un quai destiné à protéger le quartier des Brotteaux Rouges contre les inondations, qui reste le seul quartier lyonnais à ne pas être protégé des débordements du Rhône. L’arrêté préfectoral du 28 juin 1923 fixe les alignements du futur quai Fillon le long des constructions existantes, sur le tracé du chemin de la Vitriolerie à Saint-Fons, rebaptisé chemin de desserte de l’Ile de l’Archevêque194. Un deuxième arrêté en date du 2 juillet 1927 fixe le nivellement futur du quai, qui sera placé au-dessus des plus hautes eaux par l’édification d’un remblai de 14 m de large à partir des alignements des propriétés de l’époque. Consulté pour avis, le Service Navigation ne s’oppose pas au projet, considérant que les travaux n’auront pas d’incidence sur l’écoulement des crues. Les arguments alors avancés vont à l’inverse de ceux opposés moins de trente ans plus tôt par H. Girardon à la réalisation d’un tel ouvrage : les ingénieurs estiment que l’impact de l’endiguement sera négligeable car ce dernier se situe en arrière de la lône de La Mouche (appelée aussi lône Félizat) et immédiatement à l’aval du confluent de la Saône avec le Rhône, à partir duquel la section du fleuve bénéficie d’un élargissement suffisamment important pour continuer à offrir aux crues un débouché acceptable. Cette contradiction n’est d’ailleurs absolument pas relevée : les craintes ultérieures de l’administration ne sont plus mentionnées.

Les travaux de remblaiement commencent immédiatement dans la partie amont, après que les propriétaires riverains aient cédé gratuitement les terrains concernés par l’emprise du projet (photo 21). Il semble que l’entreprise ait d’abord avancé lentement, peut être du fait de l’ampleur de la dépense à fournir, ou dans l’attente de précisions quant au projet de port industriel prévu entre les abattoirs et Saint-Fons et soumis à l’approbation de l’Etat par la Chambre de Commerce de Lyon. Suite à l’adoption de ce dernier par décision ministérielle du 4 décembre 1931, la Ville adresse une demande de subvention des travaux de défense contre les inondations au Ministère des Travaux Publics, au titre de la loi du 28 décembre 1931 sur l’outillage national. La requête est motivée par le fait que la réalisation du quai Fillon répond à une partie des dispositions prévues pour la desserte du port industriel, qui doit être assurée par la création de deux voies contigües de 14 m de large : l’une, côté terre, destinée au service du port, l’autre, le long du Rhône, devant servir de promenade. Ainsi, l’endiguement du quartier des Brotteaux Rouges est présenté par la Ville comme une anticipation sur les travaux du futur port Edouard Herriot.

Le dossier adressé le 7 janvier 1932 par C. Chalumeau, Ingénieur en Chef de la Ville, consiste en un exhaussement des voies publiques en bordure du Rhône : l’édification du quai Fillon, de la rue Chevrot jusqu’au chemin vicinal n° 9 de Pierre-Bénite à Vénissieux, en aval du mur d’enceinte de Saint-Fons, ainsi que le relèvement des rues attenantes pour les raccorder au futur quai, à savoir la rue Chevrot, l’avenue Jean Jaurès et le chemin des Culattes. Le quai Fillon doit être élevé au-dessus du niveau de la crue de 1928 et protégé côté Rhône par un perré et des enrochements de défense. Dans la section fraîchement remblayée allant de la rue Chevrot au Chemin de Culattes, déjà insubmersible suite aux travaux amorcés depuis 1928, un remblaiement supplémentaire est projeté afin de raccorder la voirie à un nouveau pont alors prévu dans l’axe de l’avenue Jean Jaurès. Le coût de l’ensemble est estimé à 8,8 millions de francs, la ville demandant à l’Etat une participation de 3 millions. Suite à l’avis favorable du Service Navigation, l’Etat accepte d’accéder à la requête municipale, mais décide de limiter sa participation aux seuls travaux de défense contre les crues restant à effectuer, c’est-à-dire à l’édification du quai Fillon dans sa partie aval, du chemin des Culattes au mur d’enceinte de Saint-Fons, sans financer l’exhaussement de la partie amont du quai, déjà insubmersible, ni des voies attenantes. Par la décision du 29 février 1932, le Ministre des travaux Publics accorde une subvention équivalant au tiers de la dépense à fournir pour achever l’endiguement, le montant total de ces travaux ayant été estimé à 2,7 millions de francs.

Photo 19. Le quartier de la gare d’eau de Perrache et Gerland vers 1880.
Photo 19. Le quartier de la gare d’eau de Perrache et Gerland vers 1880.

(source : AML).

Gerland se trouve à l’arrière-plan. La rive est encore dépourvue de protection contre les débordements du fleuve.

Photo 20. Le confluent au début du XXe siècle
Photo 20. Le confluent au début du XXe siècle

(source : carte postale coll. Association a-lyon).

Au fond à droite, on voit les premiers remblais de rive le long du quartier de La Mouche réalisés suite au projet Girardon de 1898 ; le quartier des Brotteaux Rouges, plus à l’aval, bénéficie d’une protection bien moindre. Plus à l’aval, on distingue l’île de l’Archevêque.

Photo 21. La protection de Gerland vers le milieu du XXe siècle
Photo 21. La protection de Gerland vers le milieu du XXe siècle

(source : Fonds Sylvestre BML - S 1081).

Photographie prise lors de la reconstruction du pont Pasteur détruit à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. Le remblai de La Mouche (à gauche) a été prolongé par celui du quai Fillon (à droite, en arrière de la rive).

Notes
194.

Archives du SNRS, C1433, D8514