Conclusion

L’essentiel des ouvrages de protection du cœur urbain est hérité des travaux effectués immédiatement après l’inondation de 1856 et dans le cadre du décret d’application de la loi de 1858. Les inondations survenues depuis ont confirmé l’efficacité de l’endiguement du Rhône alors mis en œuvre. En revanche, la protection reste lacunaire sur la Saône, mais malgré les mises en gardes de l’Etat qui offrait de mettre à l’étude un projet d’amélioration du dispositif au cours des années 1930, il est démontré que la Ville n’a pas jugé qu’une telle question relevait de sa responsabilité, et a estimé en avoir suffisamment fait, avoir suffisamment investi dans sa défense au milieu du XIXe siècle pour être soulagée de cette préoccupation. Il semble que Lyon ne se soit plus souciée de la menace des inondations depuis lors. Il est vrai que la seule crue notable survenue depuis l’extrême de 1840 fut celle de 1955, de période de retour 55 ans seulement à Lyon, ce qui reste bien peu au vu des proportions terribles que peu prendre la rivière ; il est probable que l’on ait oublié que la Saône peut devenir au moins aussi puissante que le Rhône, ce que semble confirmer la réapparition très récente à la référence au maximum de 1840, seulement évoquée depuis l’Etude Globale, mais longtemps occultée sur la Saône en général, qui plus est sur la Saône lyonnaise où aucun risque, même pas une cartographie basée sur la crue moyennement forte de 1955, n’était affiché jusqu’à ces derniers mois.

Les travaux de voirie réalisés au cours du siècle dernier ont indirectement contribué à consolider l’endiguement en élargissant les quais et les digues. Mais dans le même temps, ces travaux ont masqué l’existence du système de protection, en ont fait oublier la vocation première et ont très probablement contribué à l’oubli du risque potentiel qui demeure en cas de crue forte de la Saône et même de crue exceptionnelle (supérieure au scénario millénal envisagé par les gestionnaires) du Rhône. La contraction du lit mineur est actuellement compensée par d’importants travaux de dragages qui ont approfondi le chenal dans la traversée de la ville et apportent une revanche supplémentaire au vieil endiguement du Rhône ; il n’en est pas de même à Gerland qui reste inondable. Cependant, le profil en long pourrait évoluer à la faveur d’une crue mobilisant les matériaux accumulés au Grand-Camp. Il n’est pas démontré que les ouvrages conserveraient alors une revanche suffisante, en particulier au niveau de la section particulièrement rétrécie du Pont Poincaré. D’une manière générale, les acteurs locaux semblent marqués par une conception figée de la protection, comme il elle avait été acquise une fois pour toute au milieu du XIXe siècle, telle un droit devant être garanti par l’Etat. Pourtant, elle n’a jamais été assurée sur la Saône, qui continue à menacer Vaise, le Vieux-Lyon et la Presqu’Ile ; elle ne vaut que pour les crues de projet sur le Rhône, et Gerland, protégé plus tard, est particulièrement exposé en cas de crue d’un débit supérieur à celui écoulé en 1856, ce qui reste une crue relativement faible en termes de période de retour compte-tenu de l’importance des enjeux exposés.

L’extension de Lyon au-delà de l’endiguement du Plan Kleitz a poussé les édiles à obtenir le prolongement du rempart de protection au droit de Gerland. Cela s’est traduit par une inquiétude des services de l’Etat, garants du maintien du bon écoulement des crues. Alors que le Service Spécial s’inquiète de ne pas déplacer le risque, les pressions locales finissent par l’emporter, et l’endiguement est prolongé jusqu’à Saint-Fons. On constate d’ailleurs que les ingénieurs du milieu du XXe siècle ne font pas preuve de la même prudence que leurs prédécesseurs. On peut y voir l’effet d’une perception commune aux différents acteurs de la deuxième moitié du XXe siècle, qui n’ont pas connu les caprices du fleuve et semblent imaginer que les progrès techniques permettront de s’affranchir de la contrainte fluviale. Cette attitude collective a probablement été confortée par l’absence de crue forte depuis 1944 qui aurait pu réactiver la problématique des inondations. En définitive, celle-ci semble avoir disparu à Lyon-même, tandis que la croissance urbaine va déplacer cette question sur les marges de l’agglomération.