I. Etat de la protection au sud de Lyon au milieu du XIXe siècle

Avant aménagement, le paysage fluvial au sud de Lyon était marqué par les multiples divagations du Rhône dans sa plaine, largement inondable. C’est à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle que les Ponts-et-Chaussées entreprirent de régulariser le Rhône. Il s’agissait alors de stabiliser le cours du fleuve et de resserrer les eaux dans un chenal suffisamment étroit et profond pour offrir un mouillage satisfaisant aux premiers bateaux à vapeur, mis en circulation dès 1830. En 1836, l’Etat crée le Service Spécial du Rhône afin de concevoir et d’encadrer l’aménagement du fleuve pour les besoins de la navigation206.

A l’aval de Pierre-Bénite, l’essentiel des travaux de correction du fleuve a été mené de 1838 à 1910 (Salvador, 1983), en trois phases distinctes correspondant chacune à la mise en œuvre de techniques d’endiguement différentes qui ont progressivement permis de resserrer le chenal.

Si ces travaux de correction furent motivés par la volonté d’améliorer les conditions de navigation pour rentabiliser le transport par voie d’eau, ils permirent également de mettre une partie de la plaine à l’abri des inondations, du moins à l’abri des débordements directs du fleuve.

Dans un premier temps (1838-1859), on construisit ainsi entre Lyon et le confluent de l’Isère des digues hautes insubmersibles pour réduire le chenal à une largeur de 400 m. Ces travaux furent dirigés par l’Ingénieur en Chef du Service Spécial C. Kleitz puis par son successeur H. Tavernier (Salvador, 1983). Au sud de Lyon, bien que le Rhône eût alors une largeur inférieure à 400 m, plusieurs ouvrages furent construits en rive concave : les digues de Feyzin (1838-41, arasée à 5 m au-dessus de l’étiage), de Solaize (1843-50) et de Saint-Fons (1845-50, arasée à 4,4 m au-dessus de l’étiage) en rive gauche, puis la digue haute d’Oullins (1854-1856) en rive droite.

La localisation de ces digues insubmersibles, situées essentiellement en rive gauche du fleuve, pourrait laisser penser qu’un des buts visés dans ce secteur était de soustraire les plaines agricoles de Saint-Fons et Feyzin à la contrainte fluviale, peut-être parce que l’essentiel des récoltes était destiné à la ville elle-même (Salvador, 1983). Mais le choix de leur implantation s’explique avant tout par la géométrie du lit : elles ont été édifiées en rive concave pour chenaliser les écoulements. S’ils défendaient les terres agricoles contre les crues moyennes, les ouvrages offraient cependant une protection imparfaite : peu solides, ils demeuraient submersibles pour les très grandes crues et n’empêchaient pas l’inondation indirecte par infiltration, favorisée dans ce secteur par la nature du sous-sol sableux graveleux, extrêmement perméable. Par ailleurs, ces ouvrages montrèrent vite leur faiblesse : un courant rapide se concentrait à leur pied, causant de profonds affouillements qui menaçaient la stabilité de l’ensemble et imposaient de fréquents rechargements (ibid.). La crue de 1856 créa plusieurs brèches dans la digue de Feyzin, trop rigide, inaugurant ainsi une série de dommages qui se répétaient à chaque grosse crue.

Prenant acte de ces dysfonctionnements, le Service Spécial du Rhône opta à partir de 1860 pour la construction de digues submersibles arasées à 2 m au-dessus de l’étiage, permettant d’orienter le courant avec plus de souplesse et de limiter la contrainte exercée sur les ouvrages, tout en resserrant le chenal à 180 m puis 130 m. Cette nouvelle configuration était par ailleurs compatible avec les exigences imposées par la loi du 28 mai 1858, qui interdisait tout endiguement insubmersible en dehors des secteurs urbains afin de préserver le champ d’expansion des crues.

Par la suite, le système fut complété par l’Ingénieur en Chef L. Jacquet par le procédé des épis noyés allemands afin de limiter la profondeur des mouilles (à partir de 1880), puis par le système Girardon207 (1883-1910) (Salvador, 1983).

Notes
206.

Par la suite, le Service Spécial du Rhône et celui de la Saône seront rassemblés en un seul service rebaptisé Service de la Navigation du Rhône et de la Saône (SNRS), souvent raccourci sous la dénomination « Service Navigation Rhône-Saône » par les ingénieurs eux-mêmes.

207.

Du nom de l’Ingénieur en Chef des Ponts-et-Chaussées H. Girardon concepteur du dispositif ; « cette méthode consiste à canaliser les eaux dans un chenal unique au moyen de digues basses en rive concave, rattachées à la berge par des tenns et des traverses. Les digues convexes sont suffisamment pentues pour renvoyer le courant sur les digues de rive concave, tandis qu’un ensemble d’épis plongeants ou noyés stabilise le lit du fleuve, qui atteint alors de lui-même un certain équilibre » (Salvador, 1983, p. 23)