II. Le projet d’aménagement de la retenue de Pierre-Bénite

A la fin du XIXe siècle, force est de constater que l’amélioration des conditions de navigation apportée par les aménagements Girardon ne suffit pas pour permettre à la voie d’eau de concurrencer le rail. On s’oriente alors vers une volonté de modernisation par la construction de barrages et de dérivations éclusées.

En 1900, un concours d’avant-projets sur la question de l’aménagement du Rhône est ouvert par l’Office des Transports des Chambres de Commerce du Sud-Est. La présence des ponts qui enjambent le Rhône dans sa traversée lyonnaise, en particulier le vieux pont de La Guillotière, ne permet pas de réaménager la voie d’eau dans ce secteur. Reprenant un vieux projet lyonnais, déjà dans les esprits au XVIIIe siècle pour lutter contre les inondations, on imagine la construction d’un canal de ceinture sur la rive gauche du fleuve afin de relier le canal de Jonage, construit à l’amont de Lyon de 1894 à 1899 par la Société Lyonnaise des Forces Motrices du Rhône, à un port industriel prévu au sud de Gerland208 afin d’assurer la jonction entre la voie navigable de Genève à Lyon et celle du Rhône à l’aval de Lyon.

Le 27 mai 1921, la loi dite d’aménagement du Rhône décide un programme de travaux d’équipement de la frontière suisse à la Méditerranée, au triple point de vue de la production d’hydroélectricité, qui doit accompagner le développement industriel et urbain, de la navigation et des usages agricoles.

L’entreprise doit être confiée à une société d’économie mixte créée à cet effet douze ans plus tard : en 1933, l’Etat concède à la Compagnie Nationale du Rhône la conception et la réalisation des travaux d’aménagement ainsi que leur exploitation pour 90 ans (A. Giandou, 1999). La CNR se substitue alors à la Chambre de Commerce de Lyon pour encadrer l’aménagement du Rhône dans la région lyonnaise.

Un barrage est alors prévu à Pierre-Bénite, sur le Rhône à l’aval de Lyon, la liaison navigable entre le canal de Jonage et la retenue de Pierre-Bénite devant être assurée par la construction du canal de ceinture contournant l’agglomération lyonnaise par l’est209, selon les dispositions d’une étude lancée en 1929.

Deux tracés sont envisagés : l’un contournant la butte de Bron, l’autre traversant cet obstacle par un tunnel souterrain. La décision ministérielle du 27 décembre 1929 opte pour le tracé souterrain et un bief de départ, à l’amont, au niveau des basses eaux du canal de Jonage. Le tracé est prévu à l’emplacement de l’ancienne enceinte fortifiée, qui offre à travers l’agglomération une percée non construite suffisamment large pour accueillir le canal de ceinture et le boulevard circulaire projeté autour de la ville. Mais le projet s’annonce onéreux et difficile, notamment du fait de l’importante emprise des terrains à réserver pour cet aménagement210, qui doivent être acquis par la CNR. Le 25 novembre 1947, le Ministre des Travaux publics décide l’inscription du tracé de l’ouvrage au plan d’aménagement de la région lyonnaise en vue de la réservation des terrains.

En 1956, alors que seulement 40 ha ont été acquis par la CNR, le Service Navigation propose de remplacer le projet de canal par l’emprunt du tracé du Rhône dans Lyon, beaucoup moins onéreux et rendu possible par la suppression du vieux pont de la Guillotière trois ans plus tôt. Suite à une lettre du Président de la CNR au Ministre des Travaux Publics en date du 29 avril 1959 qui propose de modifier le programme d’aménagement de la troisième section, le projet de canal est officiellement abandonné par la décision ministérielle du 26 janvier 1960, et remplacé par la canalisation du Rhône dans Lyon entre l’usine hydroélectrique de Cusset, à l’amont, et la retenue projetée de Pierre-Bénite, à l’aval. A l’origine, deux barrages étaient prévus : l’un à l’aval du viaduc de Saint-Clair, l’autre en aval du pont Wilson.

La faisabilité de l’ouvrage est conditionnée par l’obligation de ne pas exhausser le niveau des crues dans Lyon. Afin de maintenir le bon écoulement des eaux et de ne pas menacer la revanche du rempart de protection lyonnais, la perte de charge causée par l’aménagement doit être compensée par un approfondissement du chenal au moyen de dragages211.

Des dispositions sont prises afin de garantir la stabilité du profil en long, en particulier pour éviter l’engravement du lit lors des crues. Afin que l’abaissement du talweg dans Lyon ne provoque pas de départ en masse de la charge sédimentaire accumulée entre Miribel et le Grand Camp suite au basculement du canal de Miribel (voir plus loin), il est nécessaire de ne pas accentuer la pente des crues dans ce secteur. Un seuil régulateur doit ainsi permettre de maintenir le niveau des crues dans le canal de Miribel à la même cote que celle observée avant l’aménagement CNR, de sorte que les graviers du Grand-Camp ne soient pas mobilisés. Cet ouvrage a été complété par la création d’une fosse à gravier destinée à piéger le débit solide à hauteur du pont Wilson. Dans la traversée de Lyon, les matériaux fournis par l’érosion du lit, non stabilisé, devront être régulièrement dragués pour ne pas réduire la section mouillée.

Notes
208.

Ce port deviendra par la suite le port E. Herriot actuel.

209.

Programme général de la CNR approuvé par l’Etat le 16 août 1935.

210.

325 ha pour les emprises du canal lui-même et le dépôt des produits de déblai

211.

Rapport de l’Ingénieur en Chef du Service Navigation Chambordéon, 31 juillet 1959