III. Le risque aggravé par les remblais industriels

III.1. Une tendance révélée par l’aggravation du niveau des crues

A partir du dernier tiers du XIXe siècle, le corridor fluvial bénéficie de l’essor industriel lyonnais et accueille un nombre croissant d’usines, gourmandes en espace et en eau et qui trouvent au sud de Lyon de vastes terrains bon marché, de plus en plus rares dans l’agglomération. Pour s’affranchir de la contrainte fluviale, les nouveaux bâtiments sont mis hors d’eau par d’importants remblais. Les premiers remblais au sud de Lyon sont réalisés pour les besoins des grandes usines lyonnaises (Lumière, Plymouth, Saint-Gobain, Ugine, Arsenal d’Irigny)212.

Dans les années 1950, le remblaiement se généralise à l’ensemble du corridor aval, encouragé par tous les acteurs lyonnais et départementaux, car l’explosion du développement industriel nécessite de nouveaux espaces (fig. 67).

Fig. 67. Emprises sur le champ d’inondation à l’aval de Lyon
Fig. 67. Emprises sur le champ d’inondation à l’aval de Lyon

(sources : atlas du Cours du Rhône, archives du SNRS, CNR).

1960 : des emprises déjà importantes sur le champ d’expansion des crues qui provoquent une aggravation du risque, matérialisée par la crue de 1957.

2000 : un couloir industriel fortement protégé par la mise en place d’un triptyque navigation/remblais/dragages ; le champ d’inondation est fortement contracté mais les emprises sont théoriquement compensées, localement, par le volume dérivé dans le canal de fuite de la CNR.

L’essor des industries chimiques au sud de l’agglomération lyonnaise est tel que la puissance publique décide d’encadrer la création d’une zone industrielle à Feyzin, afin d’éviter le développement anarchique des constructions et des remblais qui les accompagnent. Le 28 avril 1958, le Bureau d’expansion économique se réunit à la Préfecture du Rhône afin de décider de la forme juridique selon laquelle l’aménagement sera entrepris.

Un des objectifs affichés est d’assurer le remblaiement rationnel de terrains trop souvent utilisés comme gravières par les industriels, et surtout de veiller au maintien du bon écoulement des crues qui est menacé par la multiplication de remblais massifs dans la plaine. En un an en effet, d’avril 1957 à avril 1958, on a assisté à une pousse des remblais : les industries chimiques de Rhône-Poulenc, Rhodiaceta, St Gobain, Ciba, Plymouth et Lumière se sont étendues sur plusieurs dizaines d’hectares et sont déjà à la recherche de nouveaux terrains pour accroître leur activité. Laisser un tel développement se faire sans veiller à la préservation du champ d’expansion des crues risquerait de fortement aggraver le risque.

Une augmentation de l’aléa avait d’ailleurs déjà été matérialisée par la crue de 1899 qui atteignit des cotes peu inférieures à celles observées en 1856, alors que son débit était bien moindre, et surtout par la crue de février 1957, qui dépassa les plus hautes eaux connues de 1856 entre Pierre-Bénite et Grigny, et uniquement dans ce secteur.

Tab. 15. Augmentation des hauteurs d’eau à La Mulatière.
Crue Débit max. instantané à Ternay (m3/s) Hauteur à La Mulatière (m)
1856 6 000 9,55
1899 5 230 9,13
1957 5 320 9,91

(sources : valeurs fournies par la CNR sur la base des observations du SNRS)

Selon le Service Navigation, cette aggravation notable était directement imputable à la multiplication des remblais industriels en lit majeur213. Il apparaît donc indispensable d’encadrer les remblaiements à venir pour ne pas continuer à aggraver l’aléa, sous peine de menacer les enjeux industriels eux-mêmes, en particulier les usines les plus anciennes, telles celles des entreprises Plymouth et Lumière.

L’aggravation de l’aléa inondation au sud de Lyon et l’augmentation du risque qui en découle entraînent rapidement une demande de protection de la part des communes riveraines de Saint-Fons, Oullins et Grigny, qui abritent des enjeux exposés à la contrainte fluviale.

Notes
212.

Nous n’avons pas trouvé d’information quant à la provenance et à la nature des matériaux utilisés pour ces remblais. Deux hypothèses peuvent être émises : le dépôt d’ordures ou de déblais en provenance de l’agglomération lyonnaise et/ou le remblaiement à partir de matériaux extraits (carrières de pierre, terre et gravier du lit majeur, ou graviers prélevés sur les bancs du fleuve ou en lit mineur), comme ce fut le cas pour les remblais réalisés à Perrache ou sur la rive gauche du Rhône.

213.

Archives du SNRS, Inondations, demande d’indemnités et de travaux C.1311 I, D 7438