III. Une vulnérabilisation matérialisée par la trilogie des crues de 1981, 1982 et 1983 et mal acceptée par la population

Au début des années 1980, la vallée de la Saône est durement éprouvée par la succession de trois crues relativement importantes : l’événement trentennal de décembre 1981 (2598 m3/s et 8,22 m à Couzon), celui de décembre 1982-janvier 1983, de période de retour 20 ans (2598 m3/s et 8,31 m), et la crue vicennale de juin 1983 (2404 m3/s et 8,22 m). Les inondations répétées ont matérialisé l’augmentation du risque et sensibilisé la population à la question des crues. Les enjeux mis au-dessus du niveau de la crue de 1955 ont été épargnés, mais les dommages agricoles ont été importants. C’est là l’effet du changement des pratiques agricoles : les cultures ont remplacé les prairies inondables et s’étendent à présent jusqu’à la rivière. A l’échelle de la vallée, les pertes agricoles représentent 37% des dommages directs causés par la crue de 1983, soit 50 millions de francs sur un total de 135 millions, l’ensemble des pertes économiques directes et indirectes étant estimé à 175 millions (Mission Déléguée de Bassin RMC, 1984). Une partie des élus et des riverains déplore une aggravation de la fréquence et de l’importance des inondations. La profession agricole se dit, quant à elle, plus fréquemment touchée par les crues juste débordantes. L’augmentation des dommages est d’autant plus élevée que les crues se font plus tardives (elles surviennent au printemps) et font pourrir les cultures.

A la demande des communes, plusieurs réunions d’information sont organisées par le Service Navigation pour rassurer la population, les élus et les agriculteurs qui s’interrogent sur l’impact des aménagements récents sur l’aléa. En particulier, la représentation met en cause la gestion des barrages de navigation : le Service Navigation est suspecté de favoriser les intérêts lyonnais et d’utiliser les barrages pour écrêter les crues dans le but de réduire le niveau des eaux dans la traversée de la ville256. Le 15 mai 1985, les élus et les responsables professionnels de la vallée de la Saône adressent une motion au directeur du SNRS afin que celui fasse le point sur la question de l’impact négatif des ouvrages de navigation, en particulier celui de Couzon, et mette un terme aux dysfonctionnements constatés : « les cotes relevées à l’aval du barrage de Couzon au Mont d’Or, notamment dans la traversée de Lyon, prouvent une retenue anormale au niveau du barrage […] élus et responsables professionnels demandent qu’une solution soit mise à l’étude sérieusement pour préserver l’activité économique et notamment l’agriculture du Val de Saône ». On sait pourtant que, contrairement à l’opinion répandue dans la population et chez les élus (Mission Déléguée de Bassin RMC, 1984), les barrages de la Saône n’ont pas de capacité de stockage et ne peuvent donc pas écrêter la pointe de la crue. Cependant, nous allons voir qu’ils ne sont pas sans effet sur les débordements de la rivière.

Notes
256.

archives du SNRS, crue de 1983, correspondances diverses