III.2. L’échec relatif de la cartographie réglementaire

La persistance des dégâts et l’augmentation des coûts liés aux catastrophes naturelles, notamment aux inondations en zones bâties, ont imposé la nécessité de relancer la réflexion sur le risque. La loi du 13 juillet 1982 relative à l’indemnisation des victimes de catastrophes naturelles pose le principe du partage collectif des coûts issus de dommages causés par les phénomènes naturels extrêmes, et initie le développement d’une politique de prévention plus efficace (Pottier, 1998). On prend ainsi acte de l’insuffisance et du manque de moyens des documents cartographiques réglementaires existants jusque là, qui n’ont pas empêché l’extension des occupations humaines en zone inondable ni l’augmentation corrélée du risque d’inondation (ibid.). Le rapport de la Mission Déléguée de Bassin RMC chargée de faire le point sur l’état des connaissances concernant les crues du bassin de la Saône afin d’améliorer leur gestion souligne en ce sens que « diverses pressions de la part des propriétaires fonciers, des promoteurs, des collectivités locales, …(ou encore des particuliers pour les habitations légères et de loisirs implantées en zone inondable sans aucune autorisation et dans des conditions de confort et d’hygiène précaire) conduisent à minimiser la prise en compte de l’importance des inondations ; certaines zones classées en zones inondables sur les PSS se retrouvent constructibles dans les POS 257  ».

Le décret d’application en date du 3 mai 1984 constitue un tournant décisif dans la connaissance et la prise en compte des inondations, à travers le lancement des plans d’exposition aux risques (PER). Les deux objectifs du PER sont d’afficher le risque et de prescrire des mesures et des techniques de prévention allant de la réglementation de l’occupation et de l’utilisation du sol jusqu’à la réalisation de travaux concernant les biens et les activités assurables dont l’intérêt économique aura été reconnu. Les PER, prescrits par le préfet et conduits par les services de l’Etat, sont élaborés à l’échelle communale. Ils peuvent concerner un seul phénomène ou être multirisques.

Dans le cas des PERI258, l’aléa est défini à partir des variables hydrologiques pour les crues de référence : hauteurs d’eau, vitesses d’écoulement, et durée de submersion. L’étude des crues historiques est souvent complétée par une modélisation hydraulique, selon le degré de précision exigé par les enjeux, et si les conditions d’inondation et l’occupation du sol n’ont pas trop évolué depuis (Garry, 1994). On en déduit un zonage basé sur la définition de trois classes d’aléa : faible, moyen et fort. La carte d’aléa ainsi établie est complétée par un plan de vulnérabilité, qui définit des secteurs homogènes d’occupation du sol suivant la morphologie du bâti, les fonctions et les activités (habitat, agriculture, industrie, commerces) et l’appréciation des enjeux au regard de l’aléa (Ministère de l’Environnement, 1988). Ces deux documents sont finalement croisés pour aboutir au zonage réglementaire figurant trois niveaux de risque : les zones blanches sont celles où le risque est inexistant ou considéré comme négligeable, les zones rouges, très exposées, sont inconstructibles, et enfin les zones bleues, de risque intermédiaire, où les constructions sont autorisées sous certaines réserves précisées dans le règlement. Ce découpage peut être nuancé par la définition de sous-ensembles en fonction des caractéristiques locales du risque et pour y adapter les dispositions réglementaires (Ministère de l’Environnement, 1999).

La conservation du champ d’expansion des crues et la limitation du nombre des personnes et des biens exposés aux crues est d’autant plus nécessaire que la configuration du bassin de la Saône ne permet pas d’envisager la construction de barrages de stockage permettant d’écrêter une partie du débit de pointe. Plusieurs études ont été lancées pour rechercher des sites propices au stockage des eaux de crue (Mission Déléguée de Bassin RMC, 1984). L’aménagement de l’ensemble des 20 sites potentiels permettrait le stockage d’environ 600 millions de m3, pour un coût de 2,5 milliards de francs. Cependant, le volume écrêté serait bien moindre : seulement trois sites sont situés en aval d’affluents dont le débit contribue notablement à gonfler la crue de la Saône (deux en amont de Chalon et un entre Chalon et Mâcon). L’aménagement de ces trois barrages représenterait une dépense de 900 millions de francs alors qu’il ne procurerait qu’un abaissement de 100 m3/s et 5 cm à Chalon et à Macon pour une crue du type de celle du 21 décembre 1981, et impliquerait de noyer de vastes superficies et de déplacer plus de 200 habitations (ibid.).

En 1986, des PERI sont prescrits sur les six communes des départements de l’Ain et du Rhône situées en dehors du territoire du Grand Lyon. Ils remplacent le PSS de la Saône et mettent en place un zonage réglementaire basé sur le périmètre des crues décennales et centennales calculées dans la situation de l’époque, conformément aux directives nationales édictées par la loi du 13 juillet 1982 relative à l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles. Les PERI de Quincieux et Massieux sont approuvés en 1989, ceux de Massieux et Parcieux en 1993, celui de Reyrieux en 1994. Depuis la loi du 2 février 1995 (dite loi Barnier), ces documents ont aujourd’hui le même statut que les PPR, et s’appliquent également à l’existant. Il faudra attendre 2001 pour que le PPRI de Trévoux entre en vigueur. Si les hauteurs d’eau modélisées sont un peu plus élevées que celles de la crue de 1955, les surfaces inondées sont sensiblement les mêmes. A la suite de N. Pottier (1998, 2001), remarquons que la mise en œuvre des PERI semble ne pas avoir remis en cause l’orientation de l’usage du sol définie par les communes. On constate une faible révision à la baisse des secteurs non urbanisables : le nouveau zonage contient surtout des zones bleues et peu de zones rouges. Selon les propres dires des services de l’Etat rapportés par N. Pottier (2001), les PERI, comme le PSS vingt ans auparavant, ont été réalisés en intégrant la volonté d’aménager le lit majeur.

Il convient par ailleurs de souligner que la cartographie réglementaire, en vigueur dans le Val de Saône jusqu’en 2007, ne tenait pas compte de la plus grande crue connue. La réglementation issue du PSS était en effet basée sur la crue de 1955, dont la période de retour est comprise entre 50 et 70 ans, alors que les directives ministérielles préconisent la crue centennale et que le maximum de 1840 dans le secteur a roulé un débit de pointe d’une période de retour plus que millénale, inondant une superficie plus importante que l’événement de 1955, sous une lame d’eau bien plus grande (voir tableau suivant).

Tab. 16. Comparaison du débit maximum instantané (Qxi) à la station de Couzon et des hauteurs maxima des crues de 1840 (réelle et rectifiée) et 1955 aux échelles de Trévoux, Couzon et La Feuillée
  1840 1840 « rectifiée » 1955
Qxi à Couzon 4300 m3/s 4300 m3/s 2823 m3/s
h max. au pont de Trévoux 8,5 m   6,52 m
h max. à l’échelle de Couzon 12,01 m   9,24 m
h max. au pont La Feuillée 8,89 m 7,5 m 6,5 m

(source: SNRS)

Interrogé sur les raisons qui ont fait préférer l’événement de 1955 à celui de 1840, le SNRS nous a répondu qu’à l’époque de l’élaboration du PSS, la crue de 1955 présentait l’avantage d’être encore dans les mémoires et avait de ce fait semblé plus pertinente aux services de l’Etat. Quant aux PERI établis au début des années 1990 sur les communes situées en dehors du territoire du Grand Lyon, ils sont basés sur les crues décennales et centennales calculées, dont l’emprise excède peu celle de la crue de 1955. Par voie de conséquence, la vulnérabilité a doublement augmenté. Non seulement les secteurs épargnés en 1955 mais inondés en 1840 et théoriquement encore inondables pour un même débit n’ont fait l’objet d’aucune prescription particulière, mais en plus les cotes, qui ont été observées pour l’adaptation des constructions établies dans les surfaces submersibles réglementées, sont nettement inférieures à celles du maximum historique connu, et même à celles qui seraient atteintes pour un même débit s’écoulant dans la situation actuelle.

Notes
257.

Mission Déléguée de Bassin RMC, 1984, p. 35

258.

Plans d’exposition au risque d’inondation