I.2. Un projet de défense au-dessus des moyens financiers de la commune

A la fin des années 1850, les propriétaires de Vaulx-en-Velin, dont les terres agricoles sont régulièrement inondées et emportées par la violence des crues, demandent à plusieurs reprises que des travaux de protection contre les inondations soient réalisés. Les intéressés redoutent en particulier une augmentation du niveau des crues du fait du resserrement du champ d’inondation occasionné par la construction de la digue insubmersible des Brotteaux, et adressent en ce sens une pétition à l’Empereur, demandant à l’Etat de prendre en charge des travaux de protection sur le territoire de leur commune.

Le Service Spécial élabore alors un projet de défense de la plaine de Vaulx-en-Velin, présenté dans un rapport des 11 et 21 avril 1860268 et comprenant trois catégories de travaux :

  • l’endiguement insubmersible du village, permettant de protéger les 19 ha construits et les terrains bordiers situés en amont (477 ha),
  • un endiguement submersible dans le prolongement du premier ouvrage, abritant la partie aval du territoire communal (soient 410 ha) des crues ordinaires,
  • et, en avant des endiguements précités, la défense des rives contre les corrosions du fleuve.

Au nom des travaux de défense des centres de populations édictés par la loi de 1858, l’endiguement insubmersible, dont le coût est estimé à 335 000 francs, serait financé aux 2/3 par l’Etat. Pour le reste, la protection envisagée n’intéressant pas la navigation et ne revêtant pas, aux yeux de l’Etat, de caractère d’intérêt général, les 2/3 de la dépense (65 000 et 200 000 francs) resteraient à la charge des propriétaires riverains.

Mais une fois encore, comme en 1837, la commune se trouve dans l’incapacité financière de mener à bien l’entreprise de protection. Pour cette raison, le conseil municipal écarte le projet d’endiguement insubmersible par délibération du 19 mars 1861, et préfère limiter les travaux à la défense des berges contre les corrosions. Il propose de prendre en charge 1/3 de la dépense, le tiers restant à la charge des propriétaires intéressés qui devront au préalable se constituer en syndicat afin de prendre en charge l’exécution des travaux, conformément à la législation269. Ce faisant, il se range à l’avis des ingénieurs du Service Spécial qui considèrent que la valeur des terres agricoles à protéger ne justifie pas un tel investissement (un vaste endiguement submersible et insubmersible protégeant l’ensemble du territoire communal) et jugent préférable de ne pas réduire le débouché des crues à l’amont immédiat de la ville.

L’année suivante, les Ponts-et-Chaussées proposent donc un nouveau projet limité à la construction d’une jetée en enrochements destinée à stabiliser le tracé de la berge sur 5,4 km de long, pour un coût estimé à 220 000 francs270. Mais une nouvelle fois, le projet avorte du fait du peu de ressources disponibles pour sa réalisation. En effet, comme l’opération n’intéresse pas la navigation (qui transite par le canal de Miribel), l’Etat ne consent qu’une subvention équivalente au tiers de la dépense, les 2/3 restants demeurant à la charge des intéressés. De leur côté, les communes de Lyon et Villeurbanne refusent de financer une partie des travaux, bien que ces derniers aient été présentés comme une garantie supplémentaire apportée à la sauvegarde de la nouvelle digue des Brotteaux, située en arrière des enrochements prévus, et qui serait ainsi prémunie contre les risques de corrosion par les crues du Rhône.

Ce n’est finalement qu’en 1867, par sa délibération du 19 janvier, que le conseil municipal approuve les dispositions prévues par le Service Spécial. Reconnaissant l’urgence de la protection, il accepte de prendre en charge l’essentiel de la dépense.

Mais il semble que l’enjeu n’ait probablement pas été à la hauteur de la dépense réclamée aux propriétaires : ces derniers reculent une fois de plus face à la dépense. L’enquête ouverte du 20 octobre 1868 au 10 janvier 1869 pour la constitution de l’association syndicale se solde ainsi par un échec, suite à l’abstention d’un grand nombre de propriétaires riverains, et le projet est ajourné. Selon l’ingénieur ordinaire du Service Spécial en charge de l’affaire, la réticence des propriétaires s’explique par l’absence d’intérêt immédiat pour les intéressés et par l’éloignement des zones exposées à l’érosion, situées essentiellement dans la partie aval de la commune271. Par ailleurs, l’absence de crue importante pendant cette période fait probablement passer la question de la protection contre les crues au second plan. Les choses changent cinq ans plus tard, car la commune de Vaulx-en-Velin est fortement inondée à trois reprises en moins de neuf mois, en novembre 1874, janvier et août 1875.

Notes
268.

ADR, S1376

269.

ADR, S1376

270.

ADR S1376, Rapport du Service Spécial du 13 décembre 1862

271.

ADR S1376, Rapport sur la défense de la plaine de Vaulx contre les corrosions du Rhône, 11 mai 1877