III.1. Un aléa qui a continué à augmenter et menace la stabilité des digues

En 1965, le SNRS produit une étude sur l’évolution des crues dans la plaine de Vaulx-en-Velin et l’île de Miribel-Jonage depuis 1856 qui conclut à une aggravation importante du risque dans ce secteur. On a vu que le diagnostic d’une péjoration de l’aléa avait déjà été fait au droit de Miribel et Vaulx-en-Velin suite à l’importance des inondations de 1874 et 1875. Il avait abouti à la construction de la digue en terre autour du village. Dans les décennies suivantes, le phénomène de basculement s’était poursuivi avec moins d’acuité (se soldant par un exhaussement de 5,5 m dans la partie aval). Le fond du lit semblait s’être stabilisé depuis 1952, comme l’attestait le profil en long du canal levé en 1963294. Malgré cela, les crues de 1957 et 1961 ont révélé une aggravation supplémentaire de l’aléa. Aux échelles de Thil et de Miribel, la crue de 1957, qui a roulé un débit maximum instantané de 3700 m3/s à Jons et dont la période de retour est d’environ trente ans, a dépassé de quelques cm les cotes atteintes en ces mêmes points par les crues centennales de 1928 et 1944 (respectivement 4 150 et 4 250 m3/s), alors qu’elle s’était tenu 70 cm plus bas à Anthon (tab. 17). De la même façon, la crue moyenne de 1961, dont le débit était de l’ordre de 2620 m3/s, avait été inférieure de 76 cm à celle de 1957 à Anthon, mais seulement de 56 cm à Thil et de 12 cm à Miribel. « Tout se passe comme si les niveaux des crues continuaient à s’exhausser à l’aval de Miribel, ce qui, évidemment, présente un danger pour les digues protégeant Vaulx-en-Velin et Villeurbanne » 295.

Les ingénieurs du SNRS attribuent cela à deux phénomènes, le premier étant la cause du second :

  • d’une part, l’incision du canal dans sa partie amont (4 m au total)entraîne la chenalisation des crues : au droit de Thil, les eaux débordent moins dans la plaine car un débit plus important transite par le canal de Miribel.
  • D’autre part, la végétation s’est développée dans les îles de Miribel, moins fréquemment inondées, augmentant ainsi la rugosité hydraulique de la plaine et favorisant par là-même le dépôt de limon de crue lors des débordements du fleuve. Du fait de ces atterrissements, les bras secondaires du Rhône se sont progressivement comblés, les îles se sont soudées entre elles et exhaussées, tandis qu’elles étaient colonisées par la végétation qui forme un obstacle à l’écoulement des crues
Tab. 17. Augmentation des hauteurs d’eau dans la plaine de Miribel-Jonage dans le deuxième tiers du XXe s.
Date des crues Débit max. inst. au Pont Morand (m3/s) Cote atteinte aux stations (NGF)
ANTHON (PK 33,5) THIL (PK 21,44) MIRIBEL (PK 16) PONT MORAND (PK)
1928 4150 190,00 179,46 175,05 6,10 m
1944 4250 189,65 179,52 175,06 6,02 m
1955 3 150 188,81 179,12 174,99 4,56 m
1957 3 700 189,32 179,57 175,09 5,22 m
1961 2 620 188,56 179,01 174,97 3,90 m

(source : SNRS)

Un tel phénomène d’exhaussement du niveau des crues n’est pas un phénomène isolé : les archives du SNRS signalent des observations semblables à l’aval de Seyssel, au droit du village de Laloi, ainsi qu’au sud de Lyon, dans la section de Beaucaire, où des travaux de déboisement des îles sont effectués au début des années 1960. Cependant, la situation de la plaine de Miribel-Jonage préoccupe particulièrement les ingénieurs du fait de l’expansion très rapide de l’agglomération de Vaulx-en-Velin et du quartier villeurbannais de Saint-Jean. On craint en effet que l’efficacité du système de digues existant ne soit mis à mal par une nouvelle crue extraordinaire296. L’ensemble possède une revanche de 50 cm sur le niveau des crues de 1928 et 1944 mais les digues sont fragiles : elles sont en terre, ne font qu’un à deux mètres de large à leur sommet297 et sont réputées être mal entretenues - du moins au dire des ingénieurs, ce qui est contesté par les élus locaux.

Alerté par le SNRS, le Préfet du Rhône attire alors l’attention des maires de Vaulx-en-Velin et de Villeurbanne sur l’insuffisance des digues existantes au vu des enjeux importants qu’elles abritent, et leur demande de remédier au plus vite à cette situation298. Malgré l’étonnement et le mécontentement du maire de Vaulx-en-Velin, qui rappelle que les ouvrages en question ont été calibrés dix ans plus tôt par l’Etat lui-même, le principe d’un renforcement de la protection est finalement accepté par les deux communes et mis à l’étude l’année suivante. Ce changement de position de l’Etat s’explique peut être en partie par la volonté de ce dernier de créer une zone d’urbanisation prioritaire dans ce même secteur : l’enquête publique pour la réalisation du projet, décidé par décision interministérielle en 1963 et déclaré d’intérêt public un an plus tard, est ouverte en 1966. La ZUP sera ensuite agrandie en 1971.

Mais quinze ans plus tard, alors que 8 300 logements ont été construits dans la ZUP de Vaulx-en-Velin et que le nombre d’habitants de la commune a plus que triplé et atteint presque 45 000 personnes299, rien n’a été réalisé. Au début des années 1980, dans le cadre des études en cours d’élaboration du POS du secteur Est de la Courly, le SNRS alerte à nouveau les maires sur le mauvais état de la digue, qui se trouve en plusieurs points en-dessous du niveau de la crue de 1928. Quatre points de fragilité sont ainsi identifiés : une lacune de 400 m entre la rue de la Barre et le chemin Marcellin Berthelot, et 3 passages de 100, 40 et 80 m entre la rue Jean Racine et le Chemin de la Gloire. Par ailleurs, le SNRS demande aux élus de faire contrôler la stabilité de l’ouvrage dans son ensemble, en particulier sa résistance à l’érosion lors d’une crue prolongée du Rhône, et de vérifier régulièrement le bon état de fonctionnement des vannes placées sur la Rize300. En réponse, le maire de Vaulx-en-Velin met en doute la pertinence de la référence à la crue de 1928, estimant - à tort - que  « la construction des divers barrages [a] permis la régulation du Rhône 301  ».. Il demande au Préfet du Rhône d’organiser une réunion de travail avec le concours de la DDE. Le maire de Villeurbanne, Charles Hernu, ne semble quant à lui pas plus inquiet que son homologue vaudais et considère que sa commune n’est pas concernée puisque les points de fragilité se trouvent sur le territoire de Vaulx-en-Velin302.

Notes
294.

Archives du SNRS, évolution des crues dans la plaine de Vaulx-en-Velin, notice explicative, 30 décembre 1965

295.

Archives du SNRS, évolution des crues dans la plaine de Vaulx-en-Velin, notice explicative, 30 décembre 1965

296.

Archives SNRS, C1311I, D7439, L4, courrier de l’ingénieur en chef du SNRS au Préfet du Rhône, 15 novembre 1965

297.

La digue de Vaulx-en-Velin fait 1 m de large en couronne, celle qui borde la rive droite du canal de fuite de Cusset en fait 2.

298.

Archives SNRS, C1311I, D7439, L4, courriers en date du 20 novembre 1965

299.

Le recensement sans double compte de l’INSEE indique 12 118 habitants en 1962 et 44 160 en 1982.

300.

Archives SNRS, C1311I, D7439, L4, Courrier du SNRS au maire de Vaulx-en-Velin, 6 octobre 1981.

301.

Archives SNRS, C1311I, D7439, L4, courrier du maire de Vaulx-en-Velin au SNRS en date du 26 octobre 1981

302.

(Archives SNRS, C1311I, D7439, L4, courrier du maire de Villeurbanne au SNRS en date du 16 octobre 1981)