III.2. Le doublement de la digue en terre par les remblais autoroutiers : une protection lacunaire

Si on a négligé les digues existantes, c’est aussi parce que le projet de renforcement de ces ouvrages est remplacé en 1966 par l’adaptation du projet de réseau autoroutier prévu dans la plaine, dont les plateformes insubmersibles doivent ceinturer Vaulx-en-Velin au nord et à l’est303. Grâce à un noyau étanche ménagé à l’intérieur des remblais, ces derniers feront office de digue, et permettront de renforcer la protection contre les crues à moindre frais. Cette solution présente le risque qu’une crue importante ne se produise avant la réalisation des ouvrages, mais les ingénieurs du SNRS soulignent que la réalisation des travaux de renforcement de l’endiguement comporterait elle-aussi un délai d’étude et de mise à l’enquête, et occasionnerait des dépenses bien plus importantes.

Le décret ministériel du 16 février 1978 déclare d’utilité publique les travaux de construction de l’autoroute urbaine LY5 entre le pont de Croix-Luizet et l’autoroute Lyon-Genève (A42) à Neyron, et d’un canal de protection du champ des captages d’eau potable de la communauté urbaine de Lyon, situés dans l’île de Crépieux-Charmy. Ce dernier, large d’une trentaine de mètres, doit border le remblai autoroutier côté Rhône, en limite du périmètre de protection rapproché des captages, afin de protéger la nappe alluviale d’une éventuelle pollution. La plateforme insubmersible, large de 32 m en son sommet et arasée 50 cm au-dessus des plus hautes eaux connues, comporte un noyau étanche en limon. Ainsi, l’autoroute urbaine fait office de digue et double la section aval de la digue en terre de Vaulx-en-Velin. Le tracé du nouvel aménagement traverse d’ailleurs cette dernière au droit du quartier du petit Pont. Dans cette section, des matériaux étanches ont été déposés entre l’autoroute et le canal de protection afin de renforcer l’ouvrage. L’autoroute urbaine LY 5, appelée aujourd’hui A 42, est mise en service en avril 1983.

Le mois suivant, le Rhône en crue envahit le passage inférieur situé à l’actuelle jonction avec le Contournement Est et s’avance jusqu’au pied de la digue de Vaulx-en-Velin. Pour combler cette lacune, une contre-digue est alors installée par la DDE du Rhône en avant de l’ouverture.

Quelques années plus tard, l’endiguement est complété par la réalisation du premier tronçon de la Rocade Est (N346, appelée alors CD300), de l’A42 au canal de Jonage. Deux variantes sont envisagées : la réalisation d’un remblai insubmersible percé d’ouvrages de décharge, afin de ne pas restreindre le champ d’expansion des crues et de maintenir l’inondabilité de la zone maraîchère de Vaulx-en-Velin, entre le tracé de la Rocade et la digue en terre de 1882, ou la mise en place d’une digue-remblai permettant de ceinturer la commune de Vaulx-en-Velin par une deuxième ligne de protection. On opte finalement pour cette deuxième version, défendue essentiellement par les maraîchers de la zone. Etrangement, ces derniers ne sont pas tant soucieux d’être protégés contre les débordements du fleuve que préoccupés de fermer l’accès à leurs terres afin de mettre fin au vol de leurs récoltes (Ducrocq, 2001). Il semblerait que les acteurs locaux n’aient pas été mobilisés en faveur du projet, comme s’ils considéraient la question de la protection de Vaulx-en-Velin contre les inondations réglée depuis les travaux de 1955, la crue de 1957 ayant été contenue par l’endiguement fraichement réalisé304. A l’amont de Lyon, les digues ne sont pourtant pas prises en compte par le PSS du Haut-Rhône, basé sur la crue de 1928 et approuvé en 1972. Ainsi, la réglementation de l’aléa applique le principe de précaution et reste dans l’esprit de la loi de 1858. Mais le développement urbain semble s’être fait dans l’ignorance totale de la réglementation des zones inondables, à tel point que la commune se considère comme non inondable, bien à l’abri à l’arrière de digues pourtant incomplètes et mal entretenues. Cette représentation biaisée de la réalité, chez les élus locaux comme au sein de la population, est surprenante. Il serait intéressant d’interroger la part de la perte de conscience du risque et de la dissonance cognitive, au sens de Festinger (Festinger, 1962 ; Schoeneich et Busset-Henchoz, 1998) dans le discours officiel de la commune et à travers les représentations des Vaudais. Le fait qu’aucune crue importante ne soit survenue dans ce secteur depuis l’événement de 1957 joue très certainement un rôle important, d’autant plus que cette crue a pour la première et dernière fois été contenue par les digues du village. A cela s’ajoute le caractère massif et très récent de l’urbanisation au cours des années 1970 : les nouveaux habitants n’ont jamais connu les inondations du Rhône.

Le projet de la Rocade Est fait l’objet d’une enquête, déposée en mairie du 18 juin au 2 juillet 1989, qui rappelle le très mauvais état de la digue en terre et la nécessité de compléter le système de défense. L’étude hydraulique réalisée à cette occasion démontre que le territoire de Vaulx-en-Velin situé en arrière du remblai sera mis hors d’eau pour un débit de crue centennal, tandis qu’on observera une augmentation de 5 cm des hauteurs d’eau dans la traversée de Lyon.

L’ouvrage consiste en une plateforme de 30 m de large arasée 50 cm au-dessus de la crue de 1928. Les travaux, validés en amont par le SNRS, sont dirigés par le service de la Direction Départementale de l’Equipement, et achevés en 1993. Or, le procès-verbal de recollement de l’ouvrage fait le constat de l’existence de passages inférieurs non autorisés par le SNRS et réalisés à son insu. En effet, trois ouvertures ont été ménagées dans la digue : l’une pour le passage de la Rize, à proximité du canal de Jonage, qui est munie de vannes, et deux autres passages inférieurs, non batardables et conçus sans contre-digue : l’un se situe au niveau de l’échangeur de La Glayre, l’autre, plus au nord et dénommé PI5, a été réalisé afin de permettre au personnel du SEGAPAL d’accéder au parc de Miribel-Jonage en cas de crue du Rhône, lorsque l’accès par le nord est inondé (Ducrocq, 2001). De ce fait, le Service Navigation ne considère pas l’ouvrage comme une digue, puisqu’il comporte plusieurs lacunes. Il n’en reste pas moins que les élus locaux et les riverains ont conservé l’idée que l’ouvrage les protège des débordements du fleuve, comme l’indiquait le dossier de l’enquête hydraulique. On a vu que la modélisation réalisée récemment par la CNR (2003) dans le cadre de la procédure PPRI du Grand Lyon a permis de faire le point sur l’inondabilité théorique de cette zone. Malgré la réalisation d’une contre-digue à l’entrée du PI5 en novembre 2000 (photo 36), l’inondation de Vaulx-en-Velin se produirait effectivement à partir de ces passages inférieurs à partir d’un débit de crue d’une période de retour de 150 ans.

Photo 36. Le passage inférieur n°5 sous le remblai de la Rocade-Est et la contre-digue construite en avant de la digue a : vue de face, b : vue de profil.
Photo 36. Le passage inférieur n°5 sous le remblai de la Rocade-Est et la contre-digue construite en avant de la digue a : vue de face, b : vue de profil.

C’est lors de l’élaboration du PPRI du Grand-Lyon (secteur Rhône-Amont) que la commune de Vaulx-en-Velin a pris conscience de l’inefficacité de la protection de la Rocade-Est en cas de crue exceptionnelle, alors que l’Etat avait présenté l’ouvrage comme une digue au moment de sa construction. L’étude du registre d’enquête305 permet d’en savoir plus sur la perception des élus et de la population. Le conseil municipal demande que l’Etat se tienne à ses engagements de départ et fasse le nécessaire pour compléter les lacunes de l’ouvrage, et le rehausser à un niveau réellement insubmersible. En plus des observations de la municipalité, 28 observations particulières ont été consignées. Le grand nombre de remarques témoigne de la mauvaise surprise des habitants et de la profession agricole à qui le projet de PPRI a appris que leur commune était encore inondable en arrière des levées. Les remarques déplorent l’inefficacité de la Rocade-Est, rappellent les engagements de l’Etat et demandent le renforcement des digues. Les habitants s’interrogent par ailleurs quant à l’utilité de la zone non aedificandi de 100 m de part et d’autre de la digue en terre306 puisque celle-ci est doublée par la Rocade-est et n’est de toute façon pas considérée comme une digue par l’Etat. On voit à travers ces remarques que la population n’est pas familière avec le risque de rupture de digue : même si l’ouvrage n’apporte pas une sécurité absolue, la levée continue d’exister et joue donc un rôle dans la dynamique de la mise en eau du secteur ; c’est d’ailleurs très vraisemblablement l’ouvrage du « Y lyonnais » qui présente le plus de risque de rupture.

Notes
303.

Archives SNRS, C1311I, D7439, L4, courrier de l’ingénieur en chef du SNRS au directeur de la DDE, 8 novembre 1966

304.

On a déjà évoqué le fait que le discours de la commune traduit l’existence d’un sentiment de sécurité (cf. partie I chap.2.c.)

305.

L’enquête a été ouverte en mairie du 15 juillet au 15 août 2007

306.

Conformément à la loi de 2003, le risque de rupture de digue doit désormais être pris en compte dans la cartographie réglementaire par la mise en place d’une bande de sécurité en arrière des ouvrages où toute construction est interdite ; la largeur de cette bande dépend de la différence de hauteur entre la crête de l’ouvrage et le niveau du terrain situé en arrière.