I.1.a. Evolution du principe de gestion des inondations

En 1965, le Service de la Navigation Rhône-Saône réalise une première étude hydraulique qui conclut à la possibilité d’aménager une partie des îles sur une plateforme remblayée sans risquer d’aggraver les inondations (Winghart et Chabert, 1965). Dans l’esprit des concepteurs du projet, les ingénieurs d’Etat J. Winghart et J. Chabert, cette mise hors d’eau partielle de la moitié de l’île de Miribel-Jonage sera compensée par la mise en eau du reste du secteur, notamment par le creusement de lacs-réservoirs à niveau mobile permettant le stockage d’une partie du débit de crue. Tandis que les activités économiques pourront se développer sur des remblais insubmersibles, d’importantes gravières seront ouvertes à l’emplacement des futurs bassins de retenue afin de préparer l’aménagement ; les granulats extraits alimenteront en grande partie la demande lyonnaise en matériaux de construction. Les anciennes ballastières doivent ensuite être régalées et reconverties en lacs-réservoirs destinés au stockage des crues et aux loisirs aquatiques.

Au milieu des années 1960, le projet d’aménagement de la plaine de Miribel-Jonage rend donc caduc le principe de la préservation de l’étalement des crues établi depuis plus d’un siècle, bien que ce dernier soit pourtant réaffirmé quelques années plus tard par le Plan des Surfaces Submersibles de 1972 qui vise à la préservation du champ d’inondation et au maintien du bon écoulement des eaux. Comment expliquer cette contradiction apparente ? En fait, les ingénieurs s’inquiètent à l’époque des effets de l’ajustement du fleuve à l’endiguement du bras de Miribel, lequel entraîne une augmentation du niveau des crues307. Puisque les eaux s’étalent moins dans la plaine, et compte-tenu de la menace que cela représente pour la stabilité des digues de protection à l’aval immédiat et dans la traversée de la ville, il faut imaginer une solution qui restaure la capacité de stockage sans compromettre les intérêts urbains déjà présents dans le lit majeur. A l’exemple de ce qu’on a pu observer à la même époque au sud de Lyon dans le cadre de l’aménagement CNR de Pierre-Bénite308, le principe de gestion en vigueur depuis 1858 (préserver la possibilité d’étalement des crues) est remplacé par une tout autre logique censée offrir une plus grande capacité de stockage et abaisser le niveau des crues dans la traversée de la ville : la création d’une retenue artificielle en creusant une partie de la plaine et en ceinturant cette cavité par des remblais insubmersibles. L’aménagement doit ainsi permettre d’abaisser le niveau des crues et peut par la même occasion favoriser le développement urbain en permettant l’installation de nouvelles activités économiques sur les remblais. Mais tandis qu’à l’aval ce sont les activités industrielles qui se sont développées sur les remblais, l’amont de Lyon doit être préservé de la pollution pour assurer la qualité de l’eau potable de la ville ; c’est donc un complexe tertiaire et des activités de loisirs qu’il est prévu d’y installer.

Le projet est séduisant. Mais l’observateur attentif aura vite fait de remarquer que les plans d’eau du parc de Miribel-Jonage, s’ils sont effectivement ceinturés par des remblais, n’ont pas de possibilité de vidange : à l’exutoire du lac principal, l’ouvrage, censé contrôler le niveau de la retenue, n’est pas un barrage mobile comme il était prévu mais un seuil fixe (photo 38). Ce constat pose question : qu’est devenu le projet initial ? Les lacs ont effectivement été creusés, bien qu’ils soient loin de couvrir la moitié de l’île comme le décrivait le projet du Lac d’Argent ; les remblais sont visibles (et la cartographie des fortes crues modélisées montre qu’une partie d’entre eux est effectivement insubmersible pour une crue millénale) mais pas de seuil mobile. Il semble bien que la perte d’écrêtement constatée au milieu des années 1960, alors imputable au basculement du canal de Miribel, n’ait pas été restaurée. On a d’ailleurs vu qu’au contraire, elle a continué de décroître. Pourtant, le canal de Miribel semble s’être stabilisé au début des années 1950. Quels sont alors les facteurs d’explication de la situation actuelle ? Si les remblais sont là, mais que la retenue ne peut rien stocker, comment ont-ils été compensés ? Et l’ont-ils été, d’ailleurs ? N’a-t-on pas là une partie des causes de l’évolution de la géométrie du champ d’inondation que nous avons constatée plus haut ?

Pour trouver des éléments de réponse, il nous à fallu une fois de plus nous tourner vers les archives, car les acteurs actuels intéressés dans la gestion du secteur de Miribel-Jonage que nous avons interrogés, ne semblent pas savoir que ces remblais devaient à l’origine être compensés309. La reconstitution de l’histoire de l’aménagement du secteur de Miribel-Jonage ces trente dernières années permet d’observer une perte de mémoire progressive de la nécessité de compenser les remblais.

Photo 38. Le seuil fixe situé à l’exutoire du lac principal de Miribel-Jonage.
Photo 38. Le seuil fixe situé à l’exutoire du lac principal de Miribel-Jonage.

Notes
307.

Cf. partie IV chap.4 III.1.

308.

Cf. partie IV chap.2 IV et V.

309.

Plusieurs mois après avoir mené une première enquête auprès des différents acteurs de la rive droite (Combe, 2000), alors que nous consultions les archives du SNRS pour le présent travail, nous avons par hasard abordé la question avec un contrôleur des Ponts-et-Chaussées qui était déjà à la subdivision de Lyon du SNRS à l’époque qui nous intéresse ; il a pu confirmer les hypothèses que nous avions déjà émises quant aux facteurs d’explication de la situation actuelle.