I.1.c. Une réalisation partielle au détriment de l’écrêtement des crues

A la fin des années soixante-dix, alors que les remblais empiètent déjà fortement sur les zones inondables, les restrictions budgétaires imposées par la récession économique obligent les ingénieurs à revoir les travaux à la baisse310. La superficie de la retenue est alors diminuée de moitié (550 ha au lieu de 1 200), et les lacs sont finalement conçus sans possibilité de vidange, contrairement au projet initial (EDF, 1983).

Dans cette deuxième version, il n’est plus question de réduire les inondations dans Lyon, mais seulement d’essayer de retrouver une capacité d’écrêtement égale à la situation avant aménagement, pour ne pas augmenter les hauteurs d’eau et aggraver les conséquences des crues en aval et en rive droite du canal de Miribel. L’étude hydraulique du nouveau projet, réalisée en 1983 par le Laboratoire National d’Hydraulique de Chatou de l’EDF, indique malheureusement que la capacité d’écrêtement sera réduite de 40 %, le temps de transit de l’onde de crue étant quant à lui ramené de 10h30 à 7 heures pour une crue de type 1957 (ibid .).

La révision à la baisse du projet de retenue rendait donc d’autant plus nécessaire le recalibrage du canal de Miribel envisagé dès 1973 afin d’éviter une aggravation des lignes d’eau. L’étude préalable avait à l’époque souligné que l’augmentation de la débitance du canal ne pouvait être obtenue qu’au moyen d’un élargissement du chenal, l’hypothèse d’un approfondissement par dragage ayant été écartée par crainte de déstabiliser à nouveau le fond du lit dont le profil en long semblait avoir atteint un nouvel état d’équilibre depuis 1952. Le projet nécessitait de réserver les emprises requises dans les plans d’occupation des sols des communes riveraines, en rive droite ou en rive gauche. Or, malgré l’insistance du Service Navigation qui a souligné à plusieurs reprises l’importance de ces travaux pour éviter l’aggravation des inondations, les acteurs des deux rives semblent s’être sentis peu concernés par cette menace, et ont refusé catégoriquement de renoncer aux parcelles concernées. Les communes du département de l’Ain ont repoussé l’idée d’amputer leur territoire situé en rive droite du canal, rappelant qu’elles avaient déjà cédé leurs parcelles de rive gauche pour constituer le foncier du SYMALIM, et arguant que l’écrêtement des crues était de ce fait la vocation première de la rive gauche et non de la rive droite. De son côté, le SYMALIM a tenu à préserver les aménagements déjà réalisés en rive gauche, affirmant ne pas être responsable des problèmes d’écoulement des crues311.

Après plusieurs années de conflit, le tracé du projet, appelé Projet des Portes du Rhône, a finalement été modifié. Dans la version arrêtée par la CNR en 1982, l’aménagement est toujours associé à la retenue de Miribel-Jonage, mais la nécessité de compenser le remblaiement des îles, dont la réalisation a pourtant bien été entamée et dont on connaissait l’incidence sur l’aléa inondation, a disparu de l’équation. Non seulement le caractère compensatoire de l’ouvrage n’est plus mentionné, mais la fonction de stockage et d’écrêtement des crues n’est plus la vocation première de l’ouvrage, qui est désormais uniquement destiné à l’aménagement à grand gabarit de la voie navigable du Haut-Rhône et à la production hydroélectrique (CNR, 1982). Il s’agit d’augmenter la capacité hydroélectrique dans la plaine de Miribel en recalibrant les canaux de Miribel et de Jonage ainsi que le lit du Rhône dans la traversée de Lyon jusqu’au confluent de la Saône. L’équipement est constitué de deux usines hydroélectriques équipées d’écluses, construites au niveau de Thil et de Caluire-Villeurbanne ; l’usine de Cusset est quant à elle conservée. L’aménagement prend son origine en amont de Jons et emprunte d’abord le tracé du canal de Jonage sur 2,8 km ; le chenal est ensuite raccordé au canal de Miribel au droit de l’usine-écluse de Thil ; en aval de l’usine, le lit du canal de Miribel est approfondi sur l’ensemble du tracé et alimente la deuxième usine au niveau du barrage de Caluire-Villeurbanne ; puis le tracé correspond à celui du Rhône actuel dans Lyon, qui doit être lui aussi être approfondi au moyen de dragages. Dans la partie amont du secteur, à peu près au niveau de la brèche de Thil, un barrage de décharge situé en rive gauche du nouveau canal doit permettre de déverser le débit du Rhône en crue et de maintenir ainsi la fonction de stockage de l’île de Miribel-Jonage (ibid.). L’achèvement des travaux, prévu pour 1997, aurait dû permettre malgré tout d’abaisser la ligne d’eau de 50 cm pour une crue centennale (EDF, 1988). C’est d’ailleurs en anticipant cette situation à venir que l’on calibra les ouvrages de décharge de l’ouvrage couplé de l’A432 et du TGV sud-est, conçu à la même époque (ibid.). Il ressortait en effet de l’enquête hydraulique de ce projet que l’effet négatif du remous causé par l’infrastructure serait annihilé quelques années plus tard par l’aménagement CNR, et que cette aggravation temporaire pouvait donc être considérée comme négligeable (EDF, 1988).

Notes
310.

SNRS, note de synthèse, 1985

311.

Archives « vivantes » du SNRS, compte rendu de la réunion du Groupe de Direction du SYMALIM en date du 20 juin 1978