II.2. Le dragage du canal de Miribel : une rétroaction négative

Les extractions pratiquées dans le canal de Miribel ont déstabilisé le profil en long (Poinsart et al., 1989 ; Bravard et al ., 1991). Le chenal s’est incisé de plusieurs mètres depuis la fin des années soixante, par la mise en œuvre de phénomènes d’érosion progressive et régressive à partir des sites d’extraction. Cela a aggravé le phénomène de déconnexion progressive de la brèche de Thil amorcé par le basculement hydraulique lié à l’endiguement du bras de Miribel ; la brèche a de moins en moins joué son rôle pour les crues petites et moyennes et s’est peu à peu ensablée, ne fonctionnant plus que pour les crues fortes. La végétation a continué à se développer, augmentant encore la rugosité des îles, favorisant la sédimentation fine dans le Vieux Rhône et le comblement des lônes amont (Burgeap, CNR, Des Chatelliers, 1996). Le processus d’auto-exhaussement de la rive gauche déjà constaté dans les années 1960 a ainsi été amplifié, et la capacité d’écrêtement de cette dernière a encore diminué.

Lors de la crue de 1990, on a par ailleurs pu remarquer une migration des brèches vers l’aval (Bakes, 1995), qui contribue à la perte d’écrêtement de la partie amont. Les crues sont chenalisées dans les deux tiers aval de l’île, ce qui s’accompagne d’une augmentation de la vélocité de l’écoulement et des érosions (SEGAPAL, 1995), les sédiments étant alors piégés par les lacs. Récemment, la brèche de Thil a été réouverte par les services du parc, et fonctionne a nouveau pour les crues faibles, ce qui a légèrement amélioré la situation quant au volume stocké dans la plaine, mais n’a pas amélioré la situation de Thil de façon notable (BCEOM, 2006a et b).

Fig. 75. Evolution du profil en long du canal de Miribel. a : 1847-1996 ; b : 1952-1996.
Fig. 75. Evolution du profil en long du canal de Miribel. a : 1847-1996 ; b : 1952-1996.

(source : Malavoi, 2001).

Cet ajustement fluvial contribue probablement au report de l’onde de crue sur les communes de Niévroz et Thil, en rive droite. La concentration des eaux dans le canal a engendré une augmentation des niveaux et l’accélération des vitesses, ce qui peut favoriser le débordement par les points bas de la rive droite, l’espacement entre les digues étant localement réduit à l’aval du PK22, au droit du village de Thil, et la rive gauche étant davantage protégée par la végétation (Bravard et al ., 1991).

En résumé, l’enveloppe physique de la crue et les conditions d’inondation se sont modifiées du fait des actions humaines. Les crues sont chenalisées, le volume écrêté en rive gauche a diminué et il est stocké moins longtemps. Conséquence de cela, les eaux de crue sont refoulées sur la rive droite où les inondations ont augmenté. Ces hypothèses ont pu être confirmées par la réalisation d’un modèle hydraulique historique sur l’amont de Lyon, menée en collaboration avec M. Maarouf et la Compagnie Nationale du Rhône, de mars à septembre 2003 (M. Maarouf, 2003). Afin de comprendre comment les transferts d’eau ont évolué en lien avec les aménagements de la plaine de Miribel-Jonage, nous avons reconstitué la topographie de la plaine à différentes époques, par recoupement critique de données d’archives. Ce travail géohistorique a permis à M. Maarouf de modifier les paramètres du modèle hydraulique de la CNR, initialement calé sur la situation actuelle, pour retrouver les conditions d’écoulement de 1990, -date depuis laquelle ce secteur a accueilli de nombreux aménagements et a connu de très fortes évolutions de l’hydrosystème par effet d’impact des actions humaines. Les résultats obtenus se sont avérés très concluants et sont venus confirmer la réalité d’une transformation de l’enveloppe physique de la crue dans ce secteur, entraînant la modification des écoulements à l’origine de l’évolution de l’aléa que nous avons constatée et que déplorent les communes de Niévroz et Thil.

Ainsi, si la plaine de Miribel-Jonage est officiellement dévolue à la protection de Lyon contre les crues, elle a été progressivement aménagée et connaît une perte importante de sa capacité d’écrêtement314. Ce constat pose question quant aux conséquences sur le risque à l’aval, mais cela n’est apparemment pas perçu comme un enjeu réel par les édiles et les gestionnaires locaux (sauf par la rive droite qui est fortement touchée). Il est vrai que le chenal s’est fortement approfondi dans la traversée de la ville suite aux travaux d’endiguement et aux dragages du lit mineur. L’augmentation de débitance et de la pente du lit ainsi que la suppression d’une grande partie du remous lié aux anciens ponts augmente la pente de la ligne de crue dans la traversée de la ville et provoque une accélération des vitesses qui compense la contraction du lit majeur. Ainsi, à débit égal, les hauteurs d’eau au pont Morand se sont abaissées de 1 m environ. Néanmoins, la contraction des zones inondables et l’accélération du temps de transfert des crues pose question quant à l’aggravation du risque à l’aval de Lyon, dans le reste de la vallée du Rhône où la question des inondations est particulièrement sensible suite à la crue exceptionnelle de décembre 2003 à Beaucaire et Arles, de période de retour 200 à 300 ans à Beaucaire315. A l’échelle de la plaine de Miribel-Jonage, cela pose question quant à la sécurité de l’endiguement de Vaulx-en-Velin, dont les études récentes réalisées pour le PPRI du Grand Lyon ont montré les limites.

Notes
314.

Voir les valeurs données dans la partie III chap.3II.2.e.

315.

CNR, Rapport de la crue de décembre 2003, septembre 2004